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dimensions et de modèle connu : querelle entre deux groupes de guerriers. M. Lalo a bien fait ; il a tourné court, et cependant pas trop court. Le défi de Karnak, la réponse de Mylio, ces quelques scènes n’ont que les proportions et l’intérêt qu’elles doivent avoir.

Pour les scènes intimes, au contraire, le compositeur se réserve tout entier : témoin l’exposition du drame. Après les chœurs du début, Margared et Rozenn sortent ensemble du palais, et leur duo fait valoir à merveille l’opposition de leurs pensées. Avec ingénuité, avec affection, Rozenn interroge sa sœur. Dès la fin de sa première phrase : Et cette main frissonne, notez un détail heureux, la brève suspension de l’idée musicale : il faut à la jeune fille le temps de prendre la main de sa sœur et de la sentir trembler. — Aussitôt l’âpreté de Margared éclate en trois notes, brusque secousse d’orchestre qui caractérise déjà Margared et partout la suivra. Toute la réponse : Rozenn, que dis-tu, donc ? est excellente au point de vue de la mélodie et surtout du rythme. La mélodie ! qui dirait que M. Lalo en manque, après ce duo de femmes, où elle coule à flots ? N’est-ce pas une mélodie, la délicieuse phrase bercée par les violoncelles : En silence pourquoi souffrir ? Pendant deux pages, et deux pages d’adagio, l’on peut la suivre sans qu’elle dévie, sans qu’une note gauche ou une modulation banale en compromette le développement. Et Margared répond, en notes basses qui font paraître encore plus caressante la voix de la petite sœur. Le sentiment de ce duo, tendresse fraternelle de deux âmes féminines, est exprimé avec le plus grand charme ; un peu trop longuement peut-être à partir de l’ensemble, où d’ailleurs Une légère coupure serait tout indiquée.

Rozenn est demeurée seule. Un pressentiment l’avertit que Mylio va revenir, qu’il n’est pas loin. Elle chante, je n’ose dire un air, le mot étant suspect aujourd’hui ; ce n’est pas non plus un récit ; enfin, c’est quelque chose de doux, d’aimant, quelque chose qui attend et qui appelle. Sous le chant, de petits contre-chants délicieux, réponses de hautbois ou de clarinettes. Puis, d’un trémolo d’orchestre se détache sans brusquerie et comme par surprise la voix de Mylio, qui a paru. Sur la jeune fille interdite, ravie, les notes tombent une à une, d’une chute lente et molle, et les deux fiancés sont aux bras l’un de l’autre.

Au second acte, Margared est seule ; appuyée à sa fenêtre, elle écoute au loin les fanfares. Excellente, cette scène de muette contemplation ; discrètes sonneries de cuivre, et encore un de ces détails qui font au passage un plaisir infini : après que les trompettes se sont tues au dehors, il s’exhale de l’orchestre deux appels, deux soupirs plutôt de hautbois et flûtes, je crois. Cela n’est rien, et cela donne une impression profonde d’inquiétude et de mélancolie. Puis éclate un air