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O Molière ! quand je pense que Boileau te priait, sans rire, de lui enseigner où tu trouvais la rime ! .. Et la rime que tu trouvais, pour « appas, » c’était « ducats ; » pour « marquis, » c’était « prix ! » Pour « Pentecôte, » « sotte ; » pour « disgrâce, » « place ! » Pour « contrat, » « fat ; » pour « regret, » « net ; » et pour « Ignés, » « traits ! » — Homme de théâtre, et moins soucieux de prouver son habileté que de faire dire à son personnage ce qu’il doit dire, il est vrai que Molière « cherche partout des facilités : » voilà, en quatre mots, le résumé d’un excellent ouvrage sur la Versification de Molière. Je ne le rêve point, cet ouvrage, il existe. Au chapitre de « la Rime, » l’auteur, M. Maurice Souriau, cite fort heureusement cette règle de Port-Royal : « La rime étant une gêne, quoique agréable et très nécessaire pour la beauté des vers, il vaut mieux y être un peu libre pour favoriser un beau sens, que trop scrupuleux… » En regard, d’ailleurs, il place loyalement la doctrine de Malherbe, telle que Racan l’a exposée : « Sur la fin, il était devenu rigide en ses rimes,.. et s’étudiait fort à chercher des rimes rares et stériles, sur la créance qu’il avait qu’elles lui feraient produire quelques nouvelles pensées, outre qu’il disait que cela sent son grand poète de tenter les rimes difficiles qui n’avaient point encore été rimées. » — Honneur à Malherbe ! Il est fâcheux seulement que Boileau l’ait compromis : on ne pense pas toujours à le saluer comme le précurseur de M. de Banville.

Pour celui-ci, en vérité, il s’agit bien de « favoriser un beau sens ! » Il ne s’agit même plus de stimuler l’imagination à « produire quelques nouvelles pensées. » Il n’y a pas de beau sens : il n’y a que de beaux mots. Il n’y a pas de nouvelles pensées : il n’y a que de nouvelles rimes. Lui-même, en son Petit traité de poésie française, M. de Banville a promulgué sa loi ; elle pourrait se réduire à cet article unique : « La rime est tout le vers. » Ah ! s’il arrive qu’on le prenne à la lettre, et que tout un vers soit une rime, ce vers sera l’idéal !


Gai, amant de la reine, alla (tour Magnanime ! )
Galamment de l’arène à la tour magne, à Nîme !


Mais la perfection, en toutes choses, est rare : on ne cite que peu d’exemples de cette pureté. En fait, il faut se résigner, d’ordinaire, à composer le vers de deux élémens : la rime et la cheville. Etes-vous poète ? La rime vous apparaît comme une double fleur : « Incidemment, — ainsi d’amant ; » c’est une révélation ! votre tâche à vous, c’est d’ajuster à ces deux corolles une double tige, une cheville articulée ou plutôt coudée. Qu’est-ce que la poésie, en somme ? Un exercice de bouts rimeé proposés par les dieux.

Ces dieux-là, nous les connaissons : Sua cuique deus fit dira cupido ! L’honorable manie, la très innocente passion qui gouverne M. de