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plaisirs dont il ne peut se passer. Le pire, c’est qu’il n’est pas dans sa maison le seul prodigue. Lorsqu’il escorte, par exemple, de jolies femmes à l’Alhambra, son fils Roger vient occuper la loge voisine en non moins galante compagnie : « Le diable emporte ce garçon, après toutes ses belles promesses ! » pense-t-il, sans trop oser, et pour cause, faire de la morale. Très certainement, les folies du jeune homme, ajoutées aux extravagances du vieillard, conduiraient les Davenport à une ruine complète, si la Providence n’y mettait bon ordre. Nous entendons par Providence l’étrange annonce insérée dans les journaux, et à laquelle on répond si bien que, références prises des deux côtés, lady Davenport, tout incapable qu’elle soit d’ordinaire, dans sa droiture, de se plier aux circonstances, consent à chaperonner une demoiselle de Melbourne, qui, du reste, ne se montrera vulgaire que dans sa toilette. Depuis longtemps, le château de Davenport est à peu près fermé ; il va se rouvrir brillamment pour le retour d’une prétendue parente, — les Davenport ont déniché des cousins imaginaires du nom de Johnstone, — et comme les chasses, les dîners, les fêtes de toute sorte auxquels on convie le voisinage sont superbes, ce voisinage, qui ne demande qu’à s’amuser, ne se montre ni trop incrédule ni trop soupçonneux. C’est le groupe des châtelains d’alentour et des invités, venus de différens côtés, qui représente dans cette jolie esquisse le grand monde anglais ; les expériences à Londres ne sont que très sommairement indiquées, mais le peu que nous voyons suffit à prouver que certains scandales de l’époque du prince de Galles, régent, se renouvellent d’aventure aujourd’hui. Le vol de diamans, qui rappelle beaucoup, par parenthèse, un épisode des Rois en exil, n’est pas inventé, comme on pourrait le croire.

Quel ménage que celui de sir Norman et de lady Davenport ! Ils vivent complètement séparés de fait, mais en sauvant les apparences. On dit partout que l’extrême froideur de la femme a rebuté le mari ; on ne songe pas à demander par quels moyens le mari a d’abord éloigné de lui sa femme. Sir Norman se ressent d’avoir été dans la diplomatie ; il lui reste une culture superficielle qui l’aide à parler de tout agréablement en plusieurs langues ; une sorte de sentimentalité que l’on chercherait en vain chez son fils, plus résolu et plus intelligent, lui a permis d’en imposer aux femmes et à lui-même. Il fait encore la cour avec conviction. Ses amis, du reste, le croient incapable de manquer à l’honneur ; mais ses créanciers et la pauvre lady Davenport sont d’un avis différent. La conduite de cette dernière envers lui ressemble à celle d’une gouvernante à la fois douce et glaciale envers le garnement confié à ses soins ; il ne la consulte jamais avant que la nécessité ne le force de faire appel à la bourse qu’elle tient d’une main ferme. Pour