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sonné pour lui, et il remplit dans la maison les modestes fonctions de précepteur. Sa tâche ingrate est de lutter contre l’affectation esthétique du ridicule Malcolm, le plus jeune des Davenport ; mais, tout réservé qu’il soit par situation et par humeur, il mérite que miss Johnstone le remarque, qu’elle s’attache à lui, qu’elle finisse par s’offrir. Naturellement, il fera autant de difficultés pour accepter les millions d’Australie que les autres ont mis de cynisme à les poursuivre. Il est pourtant amoureux tout de bon, et il le prouvera en se dévouant corps et âme à l’aimable excentrique dont il a d’abord refusé la main, une main trop pleine d’or, qu’il accepte malgré tout, avant la dernière ligne du second volume, cela va sans dire. Catherine sera heureuse par le cœur, comme elle mérite de l’être ; elle n’éprouvera pas le besoin de prolonger ou de renouveler son épreuve d’acclimatation dans le grand monde, quoiqu’elle y ait gardé, en somme, quelques amis dignes d’elle.

Le cachet de ce roman, c’est qu’une parfaite connaissance de la société que l’auteur met en scène s’y joint à une complète indépendance d’opinion. Roger Davenport, qui menace de devenir croupier si l’on ne paie pas ses dettes et qui dérobe l’écrin de sa mère, sir Norman, qui a devancé son fils et remplacé déjà par des pierres fausses ces diamans, que la loi d’un héritage par substitution empêche de vendre, sont heureusement des types exceptionnels dans tous les pays ; on rencontrerait plus aisément l’impertinence de lady Retford, les façons de joueuse de la duchesse de Deal, le parfum d’écurie qu’exhale la bonne humeur de lord Mountjoy, les grimaces efféminées et prétentieuses de l’esthète Malcolm, la stupidité de lord Rassencourt, le mauvais ton d’un capitaine Thane, les faiblesses d’une Mrs Courtlandt, le papillon qui se brûle à la flamme et qui en meurt.

La société anglaise des hautes sphères où il nous transporte peut reprocher à M. Aidé de ne l’avoir pas ménagée ; mais si les Mrs Courtlandt et les Roger Davenport du jour sont en droit de lui en vouloir, il a pour lui les Imogène Craven et les John Darville d’autrefois, ayant écrit depuis sur la vie d’une dame en 1814, 1815, 1816[1], un roman qui pourrait bien n’être qu’une biographie d’aïeule : du moins le charme particulier aux miniatures anciennes, aux bouquets desséchés, aux lettres d’amour jaunies sous la pâle faveur qui les retient dans un tiroir à l’ambre, s’exhale de l’histoire un peu longue de cette admirable Anglaise du meilleur temps. Les douairières pardonneront à M. Aidé tous ses péchés contre leurs petites-filles. Celles-ci réclament un ragoût plus pimenté que la peinture de l’existence irréprochable d’une beauté en

  1. Passages in the life of a lady, 3 vol., 1887.