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accommodé avec assaisonnement de péripéties étranges et de paysages inédits. Avant tout, ils sont sympathiques, les trois aventuriers partis ensemble de Durban : Allan Quatermain, vieux chasseur d’éléphans ; le parfait gentleman, sir Henry Curtis, et le capitaine Good, de l’armée navale. Leur but est de rechercher un voyageur disparu ; ils ne le rencontreront qu’à la fin, après avoir découvert, au risque de leur vie, dans une partie de l’Afrique inaccessible jusque-là aux hommes blancs, le fameux trésor de Salomon, gardé par des montagnes couvertes de neige, les mamelles géantes de la reine de Saba, que précèdent cent trente milles de désert. Les ruines d’une cité qui ne serait autre qu’Ophir gisent à peu de distance ; il ne faut donc pas s’étonner de la beauté d’une route qui, à demi disparue sous les sables et les matières refroidies d’antiques éruptions de lave, apparaît tout à coup aussi belle que celle du Saint-Gothard, avec laquelle les ingénieurs modernes lui trouveraient de grandes ressemblances. Mais, avant d’arriver à cette route, les trois intrépides compagnons sont souvent bien près de périr de faim, de soif et de froid. On les suit avec un mélange d’enthousiasme et d’angoisse au milieu des horreurs de leur odyssée. Un indigène de haute mine, qui n’est autre, malgré son long exil parmi les Zoulous, que le roi légitime de Kakuanaland, un roi dépossédé dès son enfance, s’est joint à eux et leur sera d’un grand secours. Tous cependant périraient dès leur arrivée au milieu de populations féroces, qui sacrifient sans pitié les étrangers, s’ils ne réussissaient à passer pour des magiciens invulnérables, grâce à l’effet des armes à feu et autres sorcelleries très naturelles, grâce aussi à la vénération qu’inspirent le monocle et le faux râtelier de Good, surpris au moment même où il faisait sa toilette, à demi rasé, les jambes nues et sans autre vêtement qu’une chemise de flanelle. L’obligation où il se trouve de garder cette apparence burlesque pour être fidèle à son rôle une fois adopté n’est pas le moindre élément de gaîté du récit ; jamais on n’a autant parlé de trousers en Angleterre ; le temps où ils étaient des inexpressibles semble passé, la pruderie britannique est venue à composition. Sans le pantalon de Good, nous aurions du reste trop de tragédie, les tableaux sanglans de sacrifices humains alternant sans trêve avec des combats, qui, n’étaient les fusils des trois aventuriers, nous reporteraient à l’Iliade. Finalement, Ignosi, le prince exilé, remonte sur le trône de ses pères et invite ses amis anglais à puiser dans les richesses de cette caverne d’Aladdin, la chambre du trésor de Salomon. Une sorcière, peut-être contemporaine de ce grand roi, l’effroyable Gagool, les introduit au plus profond de « l’empire de la Mort, » dont elle seule connaît les issues mystérieuses ; puis, par une noire