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qui serve. Sans doute, on pourra trouver quelque chose d’un peu voulu et qui ressemble trop à une leçon dans le contraste de la fausse vocation de Maitland et du véritable apostolat d’Everard, mais l’impression en est puissante. Pour les Anglais de bonne et franche race, il faut que, coupable ou vertueux, le personnage sympathique d’un roman soit fort. Paul Ferroll, le héros homicide du roman de ce nom, a tué sa femme afin d’en épouser une autre ; nul ne songe à le lui reprocher ; il semble en lisant qu’il avait le droit d’écarter tout ce qui s’opposait à un pareil amour, et de ne laisser subsister sous le ciel qu’elle et lui, s’il le fallait pour assurer leur bonheur ; mais ceux qui excusent, qui respectent Paul Ferroll, condamneraient le scepticisme élégant ou la non moins élégante névrose de certains héros de M. Bourget. Aussi les nouveaux society novelists ont-ils soin de prêter à leurs personnages repréhensibles, pour les faire accepter, un excès d’audace inconciliable avec l’épithète d’effete, qui résume tous les pires résultats de la sensualité, de la mollesse, de l’épuisement, et que si volontiers on nous applique.

Évidemment, the Silence of dean Maitland n’est pas une de ces œuvres d’art à la mode chez nous, et qui dédaignent de rien prouver. Il est rempli d’enseignemens qui semblent quelquefois détachés de la Morale en actions, par exemple le dialogue entre Everard sorti de prison et le juge qui l’a condamné. Tout ce personnage d’Everard est trop parfait ; pas le moindre petit défaut à sa cuirasse ; mais en Angleterre, personne ne s’en plaindra, non plus que de l’imperturbable sublimité de Lilian. Notre genre de réalisme serait peut-être disposé à tourner en ridicule l’éternelle jeunesse, l’éternelle beauté que cette admirable fille apporte en récompense à l’objet de son éternel amour, lorsque celui-ci sort du bagne avec des mains de maçon et l’empreinte de toutes les souffrances sur son visage vieilli. Peut-être aurait-il tort. Qui donc n’a eu l’occasion de remarquer le privilège que gardent certaines femmes exceptionnellement pures et bienfaisantes d’échapper à l’effet des années ? Qui donc n’a hésité à déterminer l’âge de certains visages au teint calme, au sourire d’enfant, qu’éclaire un regard limpide où se reflètent les tendresses contenues ? Quelques grands peintres ont fixé l’image de cette beauté indestructible qui laisse paraître l’âme, et l’immatérialité d’un type anglais particulier, essentiellement virginal, se prête au miracle en question. S’il est rare, c’est que le miracle intime de l’amour qui éclaire et qui transfigure est assez rare aussi. Inclinons-nous devant Lilian, quand elle ne serait que le symbole de ce qu’il y a de noble chez la femme. L’idéal de la perversité féminine nous est offert assez souvent ailleurs pour faire compensation,