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éclater. Pour comprendre les événemens de 1866, pour s’expliquer que la domination de la Prusse ait été si facilement acceptée et supportée, il faut avoir vu de près les sentimens et les passions diverses dont l’Allemagne était agitée de 1815 à 1860. Le tableau n’en serait pas facile à tracer. Si on le veut fidèle, qu’on ne le cherche pas dans l’Histoire d’Allemagne au XIXe siècle, que M. de Treitschke publie actuellement, et dont trois volumes ont déjà paru. M. de Treitschke est trop bon Prussien pour parler des affaires allemandes en historien impartial. Il s’efforce surtout de présenter les faits de façon que la Prusse apparaisse toujours, à la fin du récit, justifiée ou glorifiée, selon le cas. Mais cette succession d’apologies et de panégyriques met le lecteur en défiance, et M. de Treitschke manque ainsi son but. Interrogeons plutôt la correspondance des frères Grimm, de Dahlmann et de Gervinus, qui vient d’être publiée. Dans ces lettres écrites sans arrière-pensée, et qui n’étaient point destinées à voir le jour, nous trouverons l’expression sincère des idées, des sentimens et des désirs politiques de leurs auteurs. Dahlmann et Gervinus nous serviront de types, le premier représentant plutôt les conservateurs, le second les libéraux allemands. Tous deux ont joué un rôle important dans cette période qui s’étend de 1830 à 1848 ; tous deux ont siégé au parlement de Francfort, dont Gervinus a provoqué la réunion de toutes ses forces. Ils sont au premier rang parmi les hommes de lettres, les savans et les professeurs, qui crurent alors avoir une mission politique. Ils firent de leur mieux pour la remplir. Gervinus, dont les premiers travaux donnaient de grandes espérances, était de vingt ans plus jeune que Dahlmann. Il lui dut d’être appelé de très bonne heure à l’université de Göttingen, où Dahlmann lui-même enseignait avec ses amis les frères Grimm. Bientôt, malgré la diversité des âges et des caractères, une intimité étroite s’établit entre les quatre savans. Elle résista à l’épreuve de la séparation, lorsque plus tard les frères Grimm furent fixés à Berlin, Dahlmann à Bonn et Gervinus à Heidelberg. De leur correspondance et de leurs œuvres nous essaierons de dégager d’abord le but politique qu’ils se proposaient, puis les moyens qu’ils ont employés pour l’atteindre ; enfin, nous examinerons à quel résultat ont abouti leurs efforts. Mais, auparavant, il nous faut rappeler les questions irritantes qui se posaient, ou plutôt s’imposaient alors aux meilleurs esprits de l’Allemagne.


I

Après les grandes secousses du commencement du siècle, lorsque la défaite de Napoléon fut certaine, le congrès de Vienne se donna