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d’érudit et de chrétien et ses contradictions apparentes, l’éminent critique n’a pas osé résumer ces pages pourtant si précises et que leur brièveté n’empêche pas d’être complètes. Il a mieux aimé « s’avouer accablé par la diversité du personnage que de le mutiler pour le faire entrer de force dans un cadre trop étroit. » Un tel aveu semble décourageant pour quiconque est tenté de s’occuper d’Érasme ; il justifie cependant des recherches nouvelles sur un sujet toujours obscur par quelque point. Le hasard nous a servi en nous faisant retrouver, à la bibliothèque du Vatican, un certain nombre de lettres inédites de ce grand homme. Plusieurs de ces lettres se rapportent précisément à un des momens les moins connus de sa carrière, à son voyage en Italie. Elles ont quelque valeur de document par les points de biographie qu’elles permettent de fixer avec certitude ; elles ont paru en avoir aussi par les observations qu’elles invitent à grouper. La place que tient l’Italie dans la vie d’Érasme, dans le développement de son caractère d’humaniste et même dans la formation de ses opinions religieuses, n’a pas été, croyons-nous, indiquée comme elle le mérite. C’est un point de vue qu’on a laissé dans l’ombre, et le portrait du philosophe, si bien esquissé par M. Nisard, gagnera peut-être quelques traits à celui du voyageur.


I

Il est impossible que l’Italie n’ait pas exercé sur Érasme une influence profonde et durable, quand on songe à quelle époque il l’a visitée et à la longueur du séjour qu’il y fit. Il y a vécu près de trois années, de 1506 à 1509, et dans un moment décisif pour les destinées de la renaissance. Ses liaisons y furent très nombreuses et ses études très variées. Beatus Rhenanus, son biographe, nous dit bien qu’il apporta dans ce pays la science que les autres y venaient chercher ; mais c’est là une des exagérations de l’enthousiasme, et il est permis de douter de ces jugemens portés après coup et où l’amour de l’antithèse entre sans doute pour quelque chose.

Érasme avait près de quarante ans quand il franchit les Alpes, et il semble, à regarder son histoire, que ce voyage appartienne encore à sa jeunesse, j’entends à cette période de préparation et de culture qui se prolongeait si longtemps pour les hommes d’autrefois. A peine sorti du couvent, où on l’avait enfermé malgré lui, le jeune Hollandais avait couru le monde, cherchant à satisfaire son immense besoin d’étude et à réparer, dans les universités et chez les maîtres, son éducation mal commencée. Il avait appris tout seul le grec, dont il sentait la nécessité pour mieux pénétrer l’Écriture sainte, et qui était encore presque entièrement ignoré dans