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supprimer ses adversaires, l’église ne cherchait point à les convaincre, encore moins à les édifier. Des scandales répandus partout, en Italie plus qu’ailleurs, on rendit responsable la papauté, qui ne faisait rien pour combattre le mal et qui trop souvent en donnait l’exemple. Pour supprimer les abus, on crut nécessaire d’abattre l’institution. Ainsi, du moins, pensa l’Allemagne, où l’antique mépris du Teuton pour l’Italien avait préparé les esprits à secouer la domination de Rome. La révolution protestante, si complexe dans son détail théologique, revêtit bientôt cette forme concrète dont toutes les causes ont besoin pour devenir populaires : elle se résuma dans la guerre à la papauté.

Pendant cette guerre, qui devait avoir sur l’avenir du christianisme des conséquences si graves, Érasme a joué, comme on le sait, deux rôles successifs : dans le premier, il semble marcher avec les novateurs ; dans le second, il est résolument contre eux. Le premier est à tort le plus connu ; en tout cas, nous allons voir qu’ils ne sont nullement contradictoires. Érasme avait fait de bonne heure la critique des institutions et des croyances de son temps. Il avait été des premiers à attaquer la « nouvelle théologie » scolastique, qui corrompait, à son avis, le dogme primitif ; à ridiculiser les pratiques superstitieuses qui détruisaient l’esprit chrétien ; à dénoncer les moines dégénérés et les évêques indignes. Mis en présence de la papauté, il n’en ménagea pas les vices. A son retour d’Italie, à l’époque où le saint-siège n’était pas menacé, il a écrit, non sans courage, le portrait célèbre que voici : « Aujourd’hui, les papes se reposent généralement de leur ministère apostolique sur saint Pierre et sur saint Paul, qui ont du temps de reste, et réservent pour eux la gloire et le plaisir. Bien que saint Pierre ait dit dans l’évangile : Nous avons tout quitté pour vous suivre, ils lui érigent en patrimoine des terres, des villes, des tributs, tout un royaume… Quel rapport la guerre a-t-elle avec le Christ ? Les papes, cependant, négligent tout pour en faire leur occupation unique. On voit parmi eux des vieillards décrépits montrer une ardeur juvénile, semer l’argent, braver la fatigue, ne reculer devant rien pour mettre sens dessus dessous les lois, la religion, la paix, l’humanité tout entière. Ils croient avoir défendu en apôtres l’église, épouse du Christ, lorsqu’ils ont taillé en pièces ceux qu’ils nomment ses ennemis. Comme si les plus dangereux ennemis de l’église n’étaient pas les pontifes impies qui font oublier le Christ par leur silence, l’enchaînent par des lois vénales, le dénaturent par des interprétations forcées, et le crucifient par leur conduite scandaleuse ! »

Certains théologiens poussèrent des cris de colère à cette sanglante peinture. Un peu plus tard, ils y voulurent voir le germe du schisme nouveau, et accusèrent l’auteur de l’Éloge de la folie