Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
DEUX GOUVERNEURS DE L’ALSACE-LORRAINE

On l’avait traitée jusqu’alors en simple pays sujet. Le siège de son gouvernement était à Berlin, dans une section particulière de l’office du chancelier de l’empire, dont les ordres étaient exécutés par un président supérieur, résidant à Strasbourg. Le conseil fédéral et le Reichstag se chargeaient de lui donner des lois. Elle envoyait au parlement impérial quinze députés, qui n’avaient guère que le droit d’inutile remontrance. Son Landesausschuss ou parlement provincial n’était qu’une chambre consultative, dont les avis étaient rarement écoutés.

En 1879, on eut la bonne pensée de lui octroyer une sorte de constitution, et le siège du gouvernement fut transporté à Strasbourg. L’empereur consentait à s’y faire représenter par un gouverneur ou Statthalter, investi d’une partie de ses pouvoirs souverains. Ce Statthalter, à la fois alter ego de l’empereur et chancelier d’Alsace-Lorraine, devait se faire assister dans l’exercice de ses fonctions par un secrétaire d’état et par un ministère responsable. Le Reichsland n’était pas admis, comme les autres états de l’empire, à déléguer des plénipotentiaires au conseil fédéral ; mais on l’autorisait, le cas échéant, à y faire défendre ses intérêts par des commissaires. Le parlement provincial acquérait le droit de voter des lois et de promulguer le budget avec l’assentiment de ce même conseil fédéral. Le nombre des membres de cette assemblée, élue par un suffrage à deux degrés, était porté de 30 à 58. Elle obtenait en même temps le droit d’initiative ou de proposition. C’était une concession sérieuse, et le changement était heureux. Les autonomistes avaient souvent dit et répété : « Nous sommes soumis aux mêmes charges que les autres états allemands, accordez-nous les mêmes droits, les mêmes franchises. » On n’accordait pas aux autonomistes la moitié de ce qu’ils demandaient, mais on cessait de traiter les Alsaciens-Lorrains en simples sujets. On les faisait passer au rang d’Allemands de seconde classe, et on leur permettait d’espérer qu’un jour peut-être, s’ils étaient bien sages, ils deviendraient aussi libres que les Badois, les Bavarois et les Saxons.

Il y avait deux ombres au tableau. Bien que, par le système d’élection appliqué au Landesausschuss, on se fût assuré qu’il n’y aurait jamais dans cette assemblée une majorité protestataire et intransigeante, et bien qu’on eût paré d’avance à tous les accidens possibles en décidant que, si elle se permettait de désapprouver un projet du gouvernement, on le ferait voter par le Reichstag et on l’imposerait d’autorité, on ne laissait pas de craindre que ce petit parlement en tutelle ne devînt indiscret, qu’il ne conçût une trop haute idée de son importance. La salle où il se rassemblait était pourtant fort modeste ; une triple rangée de bancs en gradins offrait cinquante-six sièges à cinquante-huit députés. Le bâtiment lui-même faisait une pauvre figure auprès des constructions grandioses de l’université ; il ressemble à un chalet suisse,