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mettait en branle pour le Statthalter, les paysans le tiendraient pour un prince régnant. Le maréchal traita l’évêque de vieux bavard et lui battit froid quelque temps. Mais il avait trop d’esprit pour prendre ses contrariétés au tragique. Ses réceptions étant fort coûteuses, il ne maintenait qu’avec peine l’équilibre de son budget, et il eût été charmé que le Landesausschuss lui votât une augmentation de 100 000 marcs ; mais le Landesausschuss fit la sourde oreille. Un soir, il n’alluma que la moitié des bougies de ses lustres, et il dit en souriant aux députés qui dînaient chez lui : « Voyez comme vous me rendez économe. »

Il n’était pas conciliant seulement en paroles, il l’était souvent dans ses actes. Il s’appliqua à résoudre la question des optans. On refusait de valider le choix des jeunes gens mineurs qui avaient opté pour la France, et quand, plus tard, pris de nostalgie, ils retournaient en Alsace, on les y traitait en réfractaires. Cette question était la plaie des familles ; la plupart avaient un fils ou un parent condamné pour refus de service militaire. Le maréchal octroya aux optans la faculté de rentrer et de se faire naturaliser sans servir en Allemagne, et il leur accorda remise des peines prononcées contre eux. Ce n’est pas qu’il fût disposé à laisser tout faire et tout passer. Quand il avait dit non, il ne revenait pas sur ses refus. Ce fut lui qui mit à l’interdit les compagnies d’assurance françaises, ce fut lui qui rendit l’usage de l’allemand obligatoire dans les séances de la délégation provinciale, et il supprima plus d’un journal. Mais il semblait ne sévir qu’à regret, et quand il avait frappé, il éprouvait le besoin d’expliquer et de justifier ses rigueurs. Il jugeait que la dictature n’est un gouvernement tolérable que lorsqu’elle est tempérée par une bonhomie qui aime à parler, et il regardait la politesse comme un moyen d’administration et de conquête.

Son succès personnel était évident, incontestable. Il ressemblait à ces excellons acteurs qui, à force de talent et d’autorité, sauvent une pièce médiocre et un rôle ingrat. On pouvait prévoir qu’après quelques années de ce régime, un rapprochement s’opérerait par degrés entre le conquérant et les annexés. Mais ce que le maréchal tenait pour un bien, les bureaucrates de métier le tenaient pour un malheur. Eh ! quoi, l’Alsace-Lorraine cesserait-elle d’être un pays conquis et sujet, exploité par des Allemands ? Le maréchal avait annoncé l’intention de faire entrer des Alsaciens-Lorrains dans l’administration et même dans le ministère. Il avait offert un portefeuille de sous-secrétaire d’état à M. Jules Klein, pharmacien, ancien maire de Strasbourg, qui avait répondu « qu’il aimait mieux fabriquer des pilules que d’en avaler. » M. Klein avait refusé, mais d’autres pouvaient accepter, et on entendait dans les bureaux comme un grondement de dogues qui rongent leur os et qui tremblent qu’on ne le leur prenne.

Le secrétaire d’état, M. Herzog, administrateur de grand mérite,