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comparer les œuvres d’art à des « signes, » il en est d’elles comme des mots du discours, entre lesquels, pour l’expression d’une même idée, nous choisissons tantôt l’un, tantôt l’autre, et tantôt un troisième, qui modifient ou qui nuancent l’idée jusqu’à la rendre méconnaissable. C’était le premier principe des anciennes rhétoriques ; et, quand il y en avait encore un, c’était le fondement de l’art d’écrire. Mais, avec toute une jeune école, M. Hennequin suppose que chacun de nous parle naturellement comme il doit parler ; que, si nous avons l’esprit fait d’une certaine manière, il ne dépend ni de nous, ni de personne au monde, ni d’aucune considération, de changer le cours de nos idées ; que nous écrivons enfin comme le ver fait son cocon ou l’araignée sa toile ; — et il ne lui resterait plus, en vérité, qu’à le démontrer. Pourquoi donc ne l’a-t-il pas fait ? Et serait-ce peut-être qu’il prendrait les philosophes pour des savans ? et leurs spéculations pour des vérités assurées ?

Accordons-lui cependant son principe, et suivons-en avec lui quelques-unes des déductions. Je ne pense pas qu’il m’en veuille de passer un peu rapidement sur sa théorie de l’Analyse esthétique, ni qu’il se fasse à lui-même aucune illusion sur ce qu’elle contient d’original et de nouveau. À la vérité, lorsqu’il nous conseille, pour analyser un roman, de « nous faire d’abord une idée d’un roman moyen et abstrait » auquel nous le comparerons ; d’en étudier ensuite « le vocabulaire, la syntaxe, la rhétorique, le ton, la composition ; » et, finalement, « les personnages, les lieux, l’intrigue, les passions, le sujet, » il a bien l’air de faire une découverte. Mais ce n’est qu’une apparence. Et M. Hennequin ne peut pas ignorer que ce qui a rendu jadis la critique de Boileau, de Perrault, de Voltaire, de La Harpe et de Marmontel si étroite, c’est justement cette manière de s’y prendre, cet examen successif du sujet, de l’intrigue, des caractères ou du style, et cette présence en quelque sorte innée dans leur esprit d’un type « abstrait et moyen » de la tragédie ou du roman, de la comédie et de l’ode. S’il n’avait pas eu dans la tête ce « type abstrait et moyen » de la tragédie, Voltaire aurait mieux parlé de Corneille ; et, de même, La Harpe eût moins admiré Jean-Baptiste, sans son idée préconçue de l’ode pindarique ou sacrée. Traitant de choses si connues, j’aurais donc seulement voulu que M. Émile Hennequin nous les donnât comme anciennes, qu’au besoin il les écourtât encore plus qu’il n’a fait, et surtout qu’il n’essayât pas de nous les faire prendre pour neuves en les enveloppant de l’obscurité de son style.

Beaucoup plus clair, il est aussi plus neuf dans la partie de son livre où il s’est efforcé d’établir « les relations de l’œuvre d’art avec certains groupes d’hommes, qui, en vertu de considérations diverses, peuvent être considérés comme les semblables et les analogues de l’artiste