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été ni dans l’affaire du mariage de la princesse Victoria avec le prince de Battenberg, ni dans les incidens qui ont décidé la retraite du dernier ministre de l’intérieur, M. de Puttkamer, ni peut-être dans d’autres circonstances intimes, moins saisissables. Il est clair que le chancelier sentait auprès de l’empereur une influence ferme et résolue, devenue plus puissante par le dévouement, la fierté d’une femme avec qui il y avait à traiter. C’était le danger de l’avenir. Frédéric III est mort avant que l’antagonisme fût plus prononcé et devînt irréparable ; il a disparu avec les promesses de son avènement, il reste avec sa bonne renommée dans l’histoire. Ainsi, en trois mois, l’Allemagne aura vu trois règnes. Le premier garde le reflet du succès et des conquêtes qui ont fait la grandeur nouvelle de l’Allemagne. Le seconde été ou promettait d’être le règne d’un empereur philosophe. Le troisième, celui du jeune empereur Guillaume II qui vient d’arriver au trône, est une énigme.

Dès ce moment, toutefois, il est aisé de voir que le petit-fils se rattache au grand-père encore plus qu’au père, que le nouveau règne est destiné à reprendre celui qui a fini au mois de mars plutôt qu’à être la suite du règne qui vient de se clore par la mort de Frédéric III. L’empereur Guillaume II, on le sent, arrive à l’empire avec le feu de la jeunesse, avec l’orgueil des Hohenzollern, et l’impatience d’un prince de vingt-neuf ans nourri des superstitions de race, du culte de son grand-père, des traditions de Frédéric II. Il y a visiblement dans son esprit une certaine confusion. Il n’a point, à coup sûr, le langage presque libéral et à demi philosophique de son père. Il laisse assez naïvement éclater, dans ses premières proclamations à son armée, à sa marine, à son peuple, une sorte de mysticisme soldatesque qui ressemble à une réminiscence d’un autre temps. Sa première, sa plus ardente préoccupation, est de conquérir son armée en se donnant à elle, en faisant de son pacte avec elle une religion. Guillaume II, il est vrai, parle un peu plus en politique dans les discours qu’il a récemment adressés au Reichstag de l’empire et au Landtag prussien au moment de prononcer son serment constitutionnel. Il aborde intrépidement les plus sérieuses questions de politique intérieure et de diplomatie. Tout cela est cependant encore assez mêlé, assez confus. Qu’en est-il réellement ? Que peut-on augurer de cette entrée en scène du nouveau souverain, de cette ère qui s’ouvre pour l’empire ? Il est certain qu’en Allemagne même, à travers les manifestations de confiance inspirées par le nouveau règne, il y a comme un mouvement vague d’inquiétude. Il y a peu de temps encore, on était sous le poids de cette incertitude poignante que causait l’état d’un souverain fatalement condamné à une fin prochaine ; on flottait entre l’intérêt qui s’attachait à l’empereur Frédéric III et la crainte des conflits d’influence qui pouvaient s’agiter autour du malade couronné. Aujourd’hui, c’est une inquiétude d’un autre genre. On ne connaît pas encore le nouvel empe-