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piété pure ne paraît s’être fait jour dans cette âme essentiellement égoïste et fermée à toute idée désintéressée. Entre David et Iahvé, comme entre Mésa et Camos, il y a un prêté-rendu d’une exactitude absolue. Iahvé est un dieu fidèle, solide, sûr ; David est un serviteur fidèle, solide, sûr. Les succès de David sont les succès de Iahvé. La fondation du nouveau royaume fut de la sorte censée être une œuvre de Iahvé. Le iahvéisme et la dynastie davidique se trouvèrent intimement associés.

Nul sentiment moral, du reste, chez Iahvé, tel que David le connaît et l’adore. Ce dieu capricieux est le favoritisme même ; sa fidélité est toute matérielle ; il est à cheval sur son droit jusqu’à l’absurde. Il se monte contre les gens, sans qu’on sache pourquoi. Alors on lui fait humer la fumée d’un sacrifice, et sa colère s’apaise. Quand on a juré par lui des choses abominables, il tient à ce qu’on exécute le hérem. C’est une créature de l’esprit le plus borné ; il se plaît aux supplices immérités. Quoique le rite des sacrifices humains fût antipathique à Israël, Iahvé se plaisait quelquefois à ces spectacles. Le supplice des Saülides, à Gîbéa, est un vrai sacrifice humain de sept personnes, accompli devant Iahvé pour l’apaiser. Les « guerres de Iahvé » finissent toutes par d’affreux massacres en l’honneur de ce dieu cruel.

De cette préférence, hautement proclamée et presque affectée, pour Iahvé, s’ensuivait-il, de la part de David, une négation formelle des autres dieux ? Non, certes. Un très ancien narrateur lui met dans la bouche, quand il est persécuté, un discours où il maudit ses ennemis, qui, en le chassant du pays de Iahvé, le forceront à servir des dieux étrangers ; tant il était reçu qu’on pratiquait la religion du pays où l’on entrait. Durant son règne, David ne paraît pas avoir commis un seul acte d’intolérance religieuse. Iahvé ordonne quelquefois des massacres, des actes sauvages ; mais il n’est pas encore fanatique de son culte exclusif, comme il le sera plus tard. Pas une des atrocités que Iahvé conseille à David n’a pour but de chasser un dieu rival. Bethsabée et Benaïah parlent à David de Iahvé comme de son patron ou de son dieu domestique, jamais comme du dieu absolu : « Iahvé, ton Dieu… ; Iahvé, le dieu de monseigneur le roi… » Aucune dénomination divine n’était encore exclusive des autres. Parmi les noms des fils de David, il en est plusieurs où l’on mettait indifféremment Baal ou El. Ainsi celui qui est appelé Eliada dans certains textes historiques, est nommé dans d’autres Baaliada.

On peut comparer une telle situation religieuse à celle d’un franciscain exalté du moyen âge. Aux yeux de ses fidèles, François d’Assise avait sur tous les autres patrons célestes une immense supériorité. Le dévot de saint François ne perdait pas une occasion