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David mourut à l’âge d’environ soixante-dix ans, après trente ans de règne, dans son palais de Sion. Il fut enterré près de là, au fond d’un caveau creusé dans le roc, au pied de la colline qui portait la ville de David. Tout cela se passait environ mille ans avant Jésus-Christ.

Mille ans avant Jésus-Christ ! C’est ce qu’il ne faut pas oublier quand on cherche à se représenter un caractère aussi complexe que celui de David, quand on cherche à concevoir le monde singulièrement défectueux et violent qui vient de se dérouler sous nos yeux. On peut dire que la religion vraie n’est pas encore née. Le dieu Iahvé, qui prend chaque jour dans le monde israélite une importance hors de pair, est d’une partialité révoltante. Il fait arriver ses serviteurs ; voilà ce qu’on a cru remarquer et ce qui le rend très fort. Il n’y a pas encore d’exemple de serviteur de Iahvé que Iahvé ait abandonné. La profession de foi de David se résume en ce mot : « Iahvé qui a sauvé ma vie de tout danger… » Iahvé est une forteresse sûre, un rocher d’où l’on peut défier ses ennemis, un bouclier, un sauveur. Le serviteur de Iahvé est en toute chose un être privilégié. Oh ! combien il est sage d’être un serviteur exact de Iahvé.

C’est surtout en ce sens que le règne de David eut une extrême importance religieuse. David fut la première grande fortune faite au nom et par l’influence de Iahvé. La réussite de David, confirmée par ce fait que ses descendans lui succédèrent sur son trône, fut la démonstration palpable de la puissance de Iahvé. Les succès des serviteurs de Iahvé sont des succès de Iahvé lui-même ; or le dieu fort est celui qui réussit. C’était là une idée peu différente de celle de l’islam, dont l’apologétique n’a non plus qu’une seule base, le succès. L’islam est vrai, car Dieu lui a donné la victoire. Iahvé est le vrai dieu par preuve expérimentale ; il donne la victoire à ses fidèles. Un réalisme brutal ne laissait rien Voir au-delà de ce triomphe du fait matériel. Mais qu’arrivera-t-il le jour où le serviteur de Iahvé sera pauvre, honni, persécuté pour sa fidélité à Iahvé ? Ce qu’aura, ce jour-là, de grandiose et d’extraordinaire la crise de la conscience israélite se laisse dès à présent entrevoir.


ERNEST RENAN.