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aux frais de la guerre que les alliés font à son petit-fils[1]. De tels sacrifices leur ont paru insuffisans. Ils demandent la monarchie d’Espagne tout entière, Landau et Brisach pour l’empire, la démolition de toutes les forteresses d’Alsace, la restitution de la Savoie et de Nice à Victor-Amédée, Neufchâtel et le Valengin pour le roi de Prusse ; enfin ils exigent que Louis XIV se charge, à lui tout seul, de conquérir, pour l’Autriche, le trône de Philippe V[2]. Une demande aussi extraordinaire équivaut à la rupture des conférences. Le 25 juillet, d’Huxelles et Polignac, confus et désespérés, reprennent le chemin de la France.

A une insolence si hautaine, Louis XIV oppose le seul langage que puisse lui permettre l’honneur de la monarchie. Par un manifeste éloquent, il fait appel à cet honneur si cruellement outragé, et invoque la protection de Dieu « qui sait, quand il lui plaît, humilier ceux qu’une puissance inespérée élève. » Il lui reste encore dans les Flandres, pour protéger la France, de vaillans soldats et un général heureux. Quelques jours plus tard, le 11 septembre 1709, ils seront vaincus à Malplaquet ! Une défaite honorable ! Ce sera peut-être le dernier sourire de la fortune expirante du grand roi !

Tout à coup, cet horizon désolé s’éclaire d’une faible lueur. Au moment où Torcy s’épuise en combinaisons de toute sorte pour sauver la monarchie, quelques mots d’un simple prêtre raniment son courage : « Voulez-vous la paix, Monseigneur ? » Telles sont les premières paroles que prononce, en entrant dans son cabinet, l’abbé Gautier, ancien aumônier, à Londres, du comte de Tallard, qui s’est rendu mystérieusement à Paris au commencement du mois de décembre 1710, et qui a demandé au neveu de Colbert une audience secrète. « Interroger alors un ministre de Sa Majesté s’il souhaitait la paix, remarque judicieusement Torcy dans ses Mémoires, c’était demander à un malade, attaqué d’une longue et dangereuse maladie, s’il en veut guérir ! » Gauthier est chargé, pour le secrétaire d’état aux affaires étrangères, d’une mission verbale du comte de Jersey, qui a représenté jadis l’Angleterre auprès de Louis XIV, et qui est l’ami intime des nouveaux ministres de la reine. « Lorsque Tallard a quitté Londres au commencement des hostilités, il lui a recommandé d’y prolonger son séjour,.. d’observer sagement les événemens et d’en rendre compte avec toute la discrétion nécessaire[3] » Fin, dissimulé, audacieux, causeur aimable, l’abbé s’est acquitté merveilleusement de sa délicate

  1. Mission de d’Huxellea et de Polignac. Conférences de Gertruydemberg.
  2. Préliminaires de La Haye.
  3. Mémoires de Torcy.