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Cependant les instances du gouvernement anglais devenaient chaque jour plus vives, et, en face d’une situation si précaire et si glissante, les tergiversations ne pouvaient être tolérées. Les illusions de Philippe, révélées à Louis XIV par les dépêches du marquis de Bonnac, expliquées, justifiées, à Versailles, par les discours fort peu convaincus du comte de Bergueick, causaient à son aïeul une déception pénible. Il ne pouvait prêter à ses discours qu’une attention impatiente. La pleine lumière s’était faite dans son esprit et sa résolution était prise. Puisque l’Angleterre abandonnera la négociation si Philippe ne renonce pas formellement à sa couronne ou à celle de France ; puisque le peuple espagnol subit maintenant son autorité sans murmure, admire sa compagne et aime tendrement son fils ; puisque l’hypothèse d’une régence exercée en Espagne, au nom de Philippe régnant à Paris, est à peine admissible ; puisqu’on supposant qu’elle pût être autorisée par l’Europe, elle n’aboutirait, selon toute apparence, qu’à la restauration de la dynastie d’Autriche ; puisqu’on un mot l’Espagne est perdue certainement pour les Bourbons, si son jeune souverain monte sur le trône de France, aucune hésitation n’est permise : Philippe V optera pour la couronne d’Espagne.

Louis ménagera, tout d’abord, son amour-propre et sa dignité, en lui exposant de sa main et en lui faisant bien saisir, soit par les commentaires de son ministre à Madrid, soit par les argumens exposés dans les lettres de Torcy à Mme des Ursins, les fatales nécessités d’une situation dont le dénoûment s’impose. Ce dénoûment, Philippe devra le pressentir et y acquiescer, comme de lui-même. S’il se montre rebelle à des insinuations courtoises, affectueuses, déférentes même, elles deviendront plus claires et plus précises ; au besoin, le doigt impérieux de son grand aïeul lui montrera le but vers lequel il doit tendre. C’est ainsi que va procéder la diplomatie de Louis XIV à l’égard du jeune roi d’Espagne. On en suit aisément la trace dans la correspondance dont nous allons reproduire les passages principaux. Nous pensons qu’on ne les lira pas sans plaisir, l’importance et la majesté des acteurs relevant toujours l’intérêt du drame.


V

Torcy s’en tenait encore, le 4 avril, aux rigueurs du droit divin : « vous aurez vu, par M. de Bonnac, qu’il y a eu quelques propositions faites pour engager le roi d’Espagne à renoncer, par le traité de paix, à ses droits sur la couronne de France et à les transporter à M. le duc de Berry… C’est un expédient qui ne peut jamais être bon, quand même Sa Majesté chrétienne serait assez mal conseillée