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non plus resté l’ami de Boccace. Acciaiuoli s’inquiéta, comme tous les grands de son temps, de transmettre son nom à la postérité, et, assez ignorant lui-même, il eut une vue obscure de la grandeur des lettres, les regardant au moins comme un instrument de gloire. Prenant peu de soin de sa gloire, il n’avait aucun plaisir à préparer celle des autres. Zanobi répondit aux désirs du grand sénéchal bien mieux que Boccace. Les relations des deux anciens compagnons de jeunesse se refroidirent et se tournèrent plus tard en une inimitié aiguë.

Mainardo de’ Cavalcanti, Pino de’ Rossi, quelques autres encore, et même Francesco Nelli, ne semblent pas avoir pris dans le cœur de Boccace la place que, du premier coup, y occupa Pétrarque. Boccace vit en lui plus qu’un ami, un maître, un guide, ce que Dante avait vu dans Virgile, et plus encore. Las d’une littérature qui lui semblait frivole, il voulait marcher dans la voie qu’il se figurait être celle de science et de poésie : « Jusqu’ici, dit-il dans une églogue latine, tu as eu pour besogne de balayer des toits à porcs, de gratter ta gale, et de nourrir tes porcs des herbes que tu ramassais. » Aujourd’hui il convoite « les embrassemens de Sappho, » c’est-à-dire la science antique, la poésie latine, la gloire universelle, portée aux confins du monde par l’illustre langage latin, non bornée à la petite contrée où les gens du commun parlent l’idiome vulgaire. Dès longtemps il admirait Pétrarque, et avant de le connaître il avait déjà écrit son panégyrique. Dans la poésie vulgaire, Pétrarque a brillé si fort que Dante seul l’offusque, et que Boccace, en lisant les Sonnets et les Triomphes, a brûlé une partie de ses propres poèmes. Mais bien au-dessus de Dante lui-même est monté Pétrarque, à la suite des Muses latines, et, retrouvant la veine de Virgile et d’Homère, il a, le premier depuis des siècles, fait résonner la lyre épique. Le monde entier attendait frémissant ce poème de l’Africa, dont le nom, hélas ! nous est à peine connu !

Pétrarque répondait encore à un autre besoin de l’âme de Boccace. En 1350, lorsque se rencontrèrent les deux grands Toscans, Pétrarque se rendait pieusement à Rome pour prendre part à la célébration du jubilé. Rappellerai-je les admirables sonnets de la seconde partie du Canzoniere, la peste de 1348, la mort de Laure ? La douleur et la mort achevèrent une œuvre commencée dès longtemps par la méditation, les lectures pieuses, les saintes amitiés. Las d’une gloire qu’il avait tant désirée, et dont il fut comblé au-delà de ses rêves, Pétrarque se trouva humble et sincère devant le spectacle de ses péchés, et réforma sa vie avec l’énergie passionnée qu’il apportait à toutes choses. Alors le besoin de son cœur le ramena à Rome ; il y avait passé jadis, poète triomphant, pour