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L’exil avait rompu pour Pétrarque les liens du patriotisme. Boccace, quoi qu’il en eût, ne put jamais se dégager de ces liens. Il vécut, non en poète international et « citoyen du monde, » mais en citoyen de Florence, patrie glorieuse à servir, comme Athènes jadis, mais ingrate. Les Florentins, dit-il, sont « bavards et peureux comme des grenouilles ; » leur ville « est pleine de paroles pompeuses et d’actes pusillanimes, esclave, non de mille lois, mais d’autant d’opinions qu’il y a d’hommes, toujours en armes, et frémissante de guerres civiles et étrangères, pleine de gens superbes, avares et envieux. » Les opinions politiques de Boccace nous paraissent incertaines, et gouvernées souvent par l’imagination et la passion. Il a mal parlé, tour à tour, du peuple, des rois et des nobles.

Malgré des variations qu’explique la confusion où étaient les partis politiques italiens, ces opinions sont démocratiques, et surtout très formellement guelfes. Il est plein d’animosité pour l’empire allemand, dont Dante et Pétrarque attendaient tout salut.

Il semble pourtant que la fermeté de ses opinions guelfes ait paru douteuse aux Florentins. Il était en effet fort tolérant dans la pratique, ne réprouvait pas avec assez d’horreur les doctrines impérialistes de Dante, et se permettait de plaindre des gibelins exilés, tels que Pino de’ Rossi. Les démocraties vont toujours aux extrêmes, et cette modération pratique n’était pas faite pour plaire. On a supposé, avec quelque vraisemblance, que Boccace finit par prendre rang parmi les suspects de gibelinisme ou ammoniti. Mais, longtemps avant ce temps, les clabauderies de ses concitoyens lui étaient à charge, et la vie florentine ne lui était acceptable que par intermittences. Il était souvent en voyage et souvent à Certaldo. Dans l’intervalle de ses voyages, il exerça à Florence des magistratures municipales, et accepta des ambassades qu’il ne pouvait refuser. C’étaient des charges fort coûteuses, mais obligatoires. Les républiques, comme les princes, aimaient alors à choisir pour ambassadeurs des gens de lettres, habiles à parler, à écrire, à ordonner leur pensée, instruits de la politique par la lecture des auteurs.

Après son voyage à Padoue et son inutile tentative auprès de Pétrarque, l’année n’était pas terminée qu’il devait repartir pour le Tyrol, chargé d’une délicate négociation auprès du marquis de Brandebourg, fils de Louis de Bavière. En 1354, à l’approche de Charles IV, qui descendait en Italie, attendu et acclamé d’avance par tous les gibelins, les Florentins, n’ayant pas la conscience bien nette, envoyèrent Boccace à Avignon pour protester de leurs bons sentimens. Il y retourna dans la même intention en 1365, et, dans le même voyage, s’arrêta à Gênes, où il était accrédité auprès du