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Eh bien ! j’en demande pardon à M. Moreau, je poserai cette question : est-il vrai que nos contemporains soient tellement hostiles au drame et à la comédie en vers ? C’est une plaisanterie courante, oui, je le sais, que de plaindre un critique lorsqu’il est commandé pour la première représentation d’un de ces ouvrages ; c’est une gentillesse ordinaire, je le veux bien, que de froncer le sourcil lorsqu’on est invité par quelque ami, qui se dit obligé de remplir une loge, à venir entendre une pièce dont il ne sait rien lui-même, sinon qu’elle est en vers. Il y a là une apparence de préjugé ; mais regardez aux jugemens.

A la Comédie-Française, à l’Odéon, Voyez les succès de l’année : c’est le Flibustier, c’est Beaucoup de bruit pour rien. Quelqu’un va-t-il prétendre que ces deux comédies n’ont triomphé que malgré les vers de M. Richepin et de M. Legendre ? Non, n’est-ce pas ? Traduisez-les, ces vers, comme le conseille ironiquement la préface de M. Moreau, « dans la langue de votre siècle,.. la langue que tout le monde entend et que tout le monde parle, le volapück de Scribe et des huissiers… » C’est alors que le Flibustier rappellera Théobald ou le Retour de Russie ! Ce ne sera qu’un Théobald renforcé, alourdi, un vaudeville méchamment pathétique. Beaucoup de bruit pour rien paraîtra un vaudeville d’une autre espèce : un badinage assez fade, épicé d’un morceau de mélodrame. Nous aurions tort de proclamer, à cette occasion, que ce qui ne vaut pas la peine d’être dit en prose, on le dit en vers : — c’est une façon de chanter ! — Ni M. Richepin, en effet, ni M. Legendre, n’ont choisi leur moyen d’expression ; la matière de ces ouvrages, dans leur pensée, a pris naturellement cette forme : ils sont poètes. Mais il est bien permis d’affirmer que c’est justement la saine poésie de l’un, la poésie élégante de l’autre, qui ont charmé le public et décidé sa faveur.

D’autre part, à l’Odéon, au commencement de la saison théâtrale, une comédie en vers a réussi médiocrement : le Marquis Papillon, par M. Maurice Boniface. Tenant du vaudeville, pour le coup, du vaudeville burlesque et de l’opérette, c’était une pantalonnade singulière : quelque chose comme les Trois épiciers en costume de cour et en poudre. Et ce quelque chose, d’ailleurs, n’avait qu’une marche assez incertaine. Il était difficile que ce premier essai d’un jeune homme fût tout à fait heureux. Mais parmi ces vers, coulant d’une veine facile, plusieurs, de-ci de-là, étaient comiques : on les salua, au passage, par des fusées de rire. Ayant ri, on ne fut pas cruel : même cette inexpérience ne parut pas sans grâce ; on faillit la fêter comme le laisser-aller d’un bon enfant. M. Boniface échoua, mais sous une brise caressante :


Sa malvenue au jour lui rit dans tous les yeux !


L’auteur de la Perdrix, également novice, ne trouva pas même