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Qu’est-il arrivé ? La ville de Carcassonne avait, dans ces derniers temps, l’avantage de posséder un maire radical qui a présidé à des élections municipales, et qui, pour être plus sûr de se faire élire, lui et ses amis, a pris tout simplement le soin de mettre de faux bulletins dans l’urne. Bref, comme on l’a dit, il a triché avec le suffrage universel ! Malheureusement, la tricherie a été découverte, et, avec la meilleure volonté du monde, on n’a pas pu éviter de poursuivre la fraude et le fraudeur. Le maire a été condamné à un mois de prison ; il a fait appel et il a été condamné encore. Ce maire radical trouvait pourtant dur d’aller en prison pour son honnête industrie. Il a épuisé tous les moyens, tous les subterfuges pour se dispenser de subir sa peine ; il n’a pas réussi, et le parquet, après avoir longtemps patienté, n’a pu faire autrement que de signifier au condamné d’avoir à se constituer prisonnier. Alors a commencé une comédie nouvelle, la comédie de la maladie et des médecins consultans : on se moquait de la justice ; et le substitut, fatigué d’être joué, garanti d’ailleurs par les instructions de ses chefs, a procédé tout simplement à l’exécution de la loi, en faisant transporter d’autorité le condamné, le prétendu malade, à la prison de ville, — où il a été subitement rétabli ! C’est fort bien, c’est fini, penserez-vous ; pas du tout, rien n’est fini. C’est ici, au contraire, que tout se complique par l’intervention du gouvernement. Et que va faire le gouvernement dans cette aventure ? Comment va-t-il juger le cas ? Oh ! c’est bien simple, quoique réellement assez grotesque. La chancellerie a envoyé en disgrâce à un autre bout de la France le substitut qui avait fait exécuter la loi, tandis que le maire condamné est encore maire et que le préfet du département est allé le consoler dans sa prison, en lui faisant un peu sa cour. Voilà la justice distributive du ministère radical sous lequel la France a l’avantage de vivre aujourd’hui !

C’est précisément cet étrange incident qui a retenti ces jours derniers dans les deux chambres : au Luxembourg, sur l’interpellation d’un sénateur républicain de Carcassonne même, M. Marcou ; au Palais-Bourbon, sur l’interpellation d’un ancien ministre, M. Flourens. Au sénat, il faut le dire, tous les partis, républicains et conservateurs, se sont trouvés exceptionnellement d’accord et n’ont eu qu’une opinion sur les singuliers procédés du gouvernement. M. le garde des sceaux Ferrouillat, fort embarrassé de son rôle, a eu beau invoquer, avec une naïveté comique, les circonstances atténuantes, et se laisser aller à dire que le maire, très coupable à la vérité, justement condamné, était après tout un maire républicain élu par une ville républicaine ! le sénat lui a infligé, d’une voix presque unanime, un vote de censure dont on peut ne tenir aucun compte dans les journaux radicaux, qui ne reste pas moins un vote d’honnêteté publique. Au Palais-Bourbon, c’est différent. M. le président du conseil, placé en face d’une majo-