Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourg écoute tout ce qu’on pourra lui dire, réponde à tout par les meilleures paroles et tienne à rester libre, comprenant que la liberté d’action est pour la Russie le meilleur moyen d’exercer, quand elle le voudra, une influence décisive dans les affaires de l’Europe. Tel pourrait bien être le seul résultat de cette retentissante entrevue impériale.

Et, d’un autre côté, en faisant cette tentative, M. de Bismarck s’est peut-être exposé à trop montrer à ses alliés qu’il se sert d’eux, sans se croire obligé de consulter leurs convenances, qu’il se réserve toujours du moins d’interpréter l’alliance à son profit. L’Autriche, qui est plus engagée que l’Allemagne en Orient, dans tous les démêlés des Balkans, qui serait au premier rang dans un conflit avec la Russie, l’Autriche, c’est bien clair, a vu tout d’abord avec ombrage le voyage de l’empereur Guillaume à Saint-Pétersbourg. Quelques explications qu’elle ait reçues, elle a pu se demander si ses intérêts ne seraient pas sacrifiés en Orient, si elle n’était pas exposée à être laissée seule en face de la Russie ; il n’est pas bien certain qu’elle soit encore complètement rassurée. L’Italie elle-même, qui a mis tant d’empressement à témoigner ses sympathies pour la Bulgarie, pour l’indépendance des nationalités des Balkans, l’Italie a pu faire ses réflexions, et commencer à s’apercevoir que tout n’est pas profit dans les grandes alliances. Si M. de Bismarck avait consulté ses alliés, il n’aurait probablement pas pu tenter sa réconciliation avec la Russie, et il ne peut essayer de reconquérir la Russie sans risquer de mettre ses alliés en défiance. Bref, tout est contradiction, et le plus clair est que les choses n’auront pas sans doute changé, que la situation de l’Europe restera ce qu’elle était, aussi laborieuse, aussi précaire. Le voyage à Saint-Pétersbourg, de quelque éclat qu’il soit entouré, pourrait bien ne servir qu’à montrer une fois de plus ce qu’il y a d’artificiel dans ces vastes combinaisons par lesquelles on compromet la paix en prétendant la garantir et la protéger.

Sans être directement engagée dans toutes ces mêlées, dans tout ce travail diplomatique du continent, l’Angleterre n’est pas moins attentive au mouvement des choses. Elle n’est point visiblement sans se préoccuper du rapprochement possible de l’Allemagne et de la Russie, des conséquences que pourrait avoir dans les relations de l’Europe en Orient une intimité renaissante entre les deux empires. Elle ne s’aventure pas aisément, pour sa part, dans des alliances plus ou moins permanentes ; elle aime à être sûre que les alliances des autres ne peuvent pas nuire à ses intérêts. L’Angleterre en est peut-être provisoirement, elle aussi, à interroger les signes, à attendre les événemens, assez occupée qu’elle est d’ailleurs de ses affaires intérieures, de son bill sur le gouvernement local, de la pacification toujours fuyante de l’Irlande, de la réforme de la pairie, à laquelle on finit par arriver.