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nières élections générales, semblerait reprendre par degrés quelque faveur, peut-être parce que la politique des conservateurs est trop manifestement impuissante. Tout récemment, dans une réunion chez un de ses amis, dans la maison du sculpteur Holliday, le vieux chef des libéraux, M. Gladstone, toujours plein d’espérance, témoignait toute sa confiance dans le succès ; le grand vieillard ajoutait même que, s’il disparaissait avant d’avoir vu triompher la cause qu’il défend, les hommes forts et résolus ne manqueraient pas pour achever son œuvre. M. Gladstone est un grand optimiste, qui ne tient pas encore le succès, qui se fait peut-être d’ailleurs quelque illusion sur l’issue définitive de l’expérience qu’il propose à l’Angleterre. La situation n’est pas moins singulièrement difficile pour le ministère de lord Salisbury, qui reste, avec des alliés incertains, en face d’adversaires passionnés, toujours prêts à recommencer la bataille contre lui, à combattre sa politique irlandaise aussi bien que sa politique extérieure, et à profiter de tout. Le cabinet a pu garder jusqu’ici l’avantage ; il n’a pas eu assez de succès ni dans son gouvernement intérieur ni dans sa diplomatie pour rallier fortement l’opinion et être à l’abri des surprises de scrutin.

Les victoires du ministère anglais n’ont surtout rien de brillant et de définitif, lorsqu’elles sont dues à de vieux préjugés que le gouvernement se croit obligé de flatter ou de ménager, comme cela vient d’arriver, il y a quelques jours, dans le débat ouvert à propos du tunnel de la Manche. Le promoteur anglais du projet, sir E. Watkin, a soulevé pour la dixième fois la question, et une fois de plus il a échoué. Le parlement a refusé sa ratification à une œuvre qui a eu le privilège d’exciter les appréhensions ou l’animadversion de quelques militaires anglais. Les jalousies, les préventions surannées ont eu une occasion nouvelle de se manifester, et le gouvernement, représenté dans la discussion par sir Michael Ricks Beach, a été le premier à combattre le projet, à se faire le complice des plus étroits et des plus puérils préjugés. Sur quoi se fonde cette opposition contre une œuvre destinée à multiplier et à faciliter les relations de deux peuples ? On dirait, en vérité, que le jour où la voie sous-marine, existerait, l’Angleterre serait en danger, qu’elle se trouverait exposée à une irruption soudaine, à une invasion dévastatrice ; on croirait que la France n’est occupée qu’à méditer et à préparer une descente sur les côtes britanniques, qu’elle en est toujours aux arméniens du camp de Boulogne. On ne remarque même pas que si la France a un bout du tunnel de la Manche, l’Angleterre a l’autre bout, et que rien ne serait plus facile que de couper les communications sous-marines. Tout cela est assez puéril et tient à des préventions insulaires d’un autre temps. Les ministres de la reine ne s’y trompent pas sans doute ; mais ils se croient intéressés à ménager une vieille passion populaire, à lais-