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du Nord, renfermée de force dans le harem de Salomon, restait fière, obstinée, et, malgré toutes les séductions du sérail, gardait sa fidélité à son amant, à son village, à ses souvenirs de vie champêtre. Dans ces scènes improvisées, on n’avait pas assez d’enthousiasme pour la bergère ; on n’épargnait pas la honte au vieux débauché. D’ordinaire l’héroïne s’appelait Sullamith, et, on a pu voir en ce nom une allusion à Abisag la Sunamite, qui joua un rôle si touchant dans les derniers jours de David et à l’avènement de Salomon. Ce qui n’est pas douteux, c’est que le petit poème, écrit bien plus tard, qu’on désigne par le nom de Cantique des cantiques, renferme l’expression des sentimens malveillans du vrai Israël, resté simple de mœurs, envers un règne dont il avait payé les dépenses et dont il avait peu profité.

Le règne de Salomon doit être considéré comme Une erreur dans l’ensemble de l’histoire d’Israël. La fin de cette opération mal concertée fut une terrible banqueroute. Mais, en politique, il n’y a pas d’action perdue. Tout ce qui est grand rapporte tôt ou tard son bénéfice. Même les grandes fautes deviennent avec le temps de grandes fortunes ; on en peut tirer gloire et profit. Louis XIV, la Révolution et Napoléon Ier, qui ont perdu la France, comptent entre les capitaux les plus assurés de la France. L’homme, pour se consoler de sa destinée le plus souvent terne, a besoin d’imaginer dans le passé, des âges brillans, sorte de feux d’artifice qui n’ont pas duré, mais ont eu de charmans reflets. Malgré les anathèmes des prophètes et les dénigremens des tribus du Nord, Salomon laissa, dans une partie du peuple, une admiration qui s’exprima, au bout de deux ou trois cents ans, par l’histoire, à demi légendaire, qui figure dans les Livres des Rois. Les malheurs de la nation ne firent qu’exciter ces rêves d’un idéal perdu. Salomon devint le pivot de l’agada juive. Pour l’auteur de l’Ecclésiaste, il est déjà le plus riche et le plus puissant des hommes. Dans les Évangiles, il résume en lui toute splendeur humaine. Une ample floraison de mythes se produisit autour de lui. Mahomet s’en nourrit ; puis sur les ailes de l’islam, cette volée de fables aux mille couleurs répandit dans le monde entier le nom magique de Soleyman.

La réalité historique qui se cache derrière ces récits merveilleux fut à peu près ceci : un millier d’années avant Jésus-Christ, régna, dans une petite acropole de Syrie, un petit souverain, intelligent, dégagé de préjugés nationaux, n’entendant rien à la vraie vocation de sa race, sage selon l’opinion du temps, sans qu’on puisse dire qu’il fût supérieur en moralité à la moyenne des monarques orientaux de tous les temps. L’intelligence, qui évidemment le caractérisa, lui valut de bonne heure un renom de science et de philosophie. Chaque âge comprit cette science et cette philosophie selon la mode