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l’autorisation légale d’acquérir des terres. La révolution de l’Indépendance a supprimé son monopole, mais ne saurait lui ravir des propriétés devenues sa possession légitime en vertu de lois antérieures. Une législature ne peut pas annuler des statuts qui ont créé des corporations privées ; elle n’a pas le droit, en conséquence, d’attribuer à l’état les biens de celles-ci, ou d’en disposer sans leur consentement. Contre les abus d’une fausse interprétation de la loi, les corporations privées, autant que les simples particuliers, sont protégées par l’esprit et la lettre de la constitution[1]. » Ainsi la magistrature américaine, tout en consacrant la liberté religieuse, préservait l’église des empiètemens de l’état.

Le pouvoir judiciaire étend sa juridiction sur les relations internationales même ; c’est lui qui interprète les traités diplomatiques, assimilés par la constitution aux lois fondamentales. Dès l’origine, il eut à poursuivre l’exécution du traité de 1783, qui reconnaissait la dette coloniale anglaise. Naguère encore, la cour suprême tenait pour non avenue la loi fédérale sur les marques de fabrique étrangères, loi passée en conformité des conventions signées avec différentes puissances européennes, la France et l’Angleterre notamment. Ces traités se trouvaient donc eux-mêmes atteints, et la situation du commerce extérieur était modifiée par l’intervention des tribunaux.

A maintes reprises, la cour suprême s’appuie sur les clauses du traité conclu par Burlingham avec la Chine pour invalider les actes des législatures. En 1879, elle frappe de nullité la loi de l’Orégon interdisant aux entrepreneurs d’employer des Chinois aux travaux publics. Dans une autre circonstance, elle affirme qu’aucun état particulier n’a le droit d’interdire aux Chinois, en tant que Chinois, l’accès des États-Unis[2]. C’est au congrès qu’il appartient d’imposer des règles à l’immigration.

  1. Ce terme de corporation n’a pas le même sens qu’en français. Il signifie une personne civile, ayant le droit d’acquérir, de posséder, etc. Être incorporé veut dire être reconnu en qualité de personne civile. Les Américains distinguent les corporations publiques, depuis la commune jusqu’aux États-Unis eux-mêmes, qui peuvent être modifiées selon le bon plaisir du public, et les corporations privées, compagnies de chemins de fer, banques, collèges, hospices, etc., qui existent en vertu de contrats, et sont garanties de par ce titre contre toute ingérence législative, à moins de clauses contraires, expressément spécifiées dans l’acte de fondation. Les corporations se divisent encore en collectives et solitaires (aggregate and sole). La corporation solitaire se compose d’une seule personne, investie des capacités légales appartenant à la personnalité civile. Un évêque, par exemple, ou un curé, est considéré dans le droit anglais comme une corporation solitaire ; il possède, ainsi que ses successeurs, les propriétés et les privilèges corporatifs.
  2. Comme les Américains, très respectueux de la loi, savent aussi la tourner quand elle les gène trop, le général Butler, Jouant sur les mots en tant que Chinois, proposa, dans un meeting tenu en Californie, de déclarer les Chinois fléau public. On a toujours le droit de se préserver d’un fléau, peste, famine, etc. Les Chinois seront donc accueillis en tant que Chinois, mais expulsés comme fléau public.