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de velours qu’il a portée dans les plus belles années de sa vie. Il ne faut pas dépayser les souvenirs de la jeunesse.

Il y a quelques années, on aurait été fort embarrassé pour adresser une invitation aux étudians français. Ce n’est pas qu’il manque en France de jeunes gens qui étudient. Bien qu’à Paris, on en compte 10,000, c’est-à-dire plus qu’en aucun lieu du monde. Mais depuis le 15 septembre 1793, que la Convention nationale supprima les anciennes universités[1], avec leurs facultés, leurs nations, leurs privilèges, les étudians n’ont plus entre eux de lien qui les unisse. La révolution française a appliqué là, comme partout, ses principes inflexibles : plus de corporations, plus de forces unies et groupées ensemble ; l’individu reste seul en face de l’État, livré à ses ressources personnelles, ne comptant que sur lui-même : dura lex ! Sans doute, les associations scolaires s’étaient rendues coupables de beaucoup de méfaits ; trop souvent, elles n’ont fait que consacrer des abus, obtenir l’impunité pour des coupables, troubler le sommeil des gens paisibles et gêner l’administration de la bonne ville de Paris ; mais aussi que de services ne pouvaient-elles pas rendre ! Quelle sécurité pour un jeune homme de ne pas se sentir seul et sans appuis, quand il débarque dans une de ces grandes villes où la foule dont on est entouré rend l’isolement plus amer ! Quelle excitation, quel secours pour le travail que d’avoir auprès de soi des amis qui travaillent et qui peuvent au besoin nous aider ! Vvoilà pourquoi, dans les pays du Nord, on a tenu à conserver les nations de notre vieille Université de Paris, c’est-à-dire ces sortes de cercles où chaque élève est reçu d’après son origine. En Allemagne, il y a des sociétés aussi, qui rendent la vie universitaire plus agréable, et auxquelles on attribue souvent la prospérité des études. Beaucoup de bons esprits regrettaient qu’il n’y eût pas chez nous quelque institution semblable, et récemment, on a essayé d’en créer une. En 1884, il s’est fondé, autour de la Sorbonne renaissante, une association générale des étudians de Paris. Le moment était bien choisi pour une création de ce genre : l’enseignement supérieur était l’objet de toutes les préoccupations ; on cherchait à le rajeunir en le dotant avec plus de libéralité, en augmentant le nombre des chaires, en créant des maîtres de conférences, en donnant aux facultés de lettres et de sciences des élèves véritables, au lieu de ces auditeurs

  1. On peut voir comment se fit cette suppression dans l’ouvrage dont M. Liard vient de publier le premier volume, et qui est intitulé : l’Enseignement supérieur en France, 1780-1889. Ce volume contient le récit des efforts qui furent tentés par les assemblées révolutionnaires pour créer un enseignement national. Jamais ces tentatives n’avaient été exposées d’une manière aussi intéressante, aussi impartiale, aussi profonde.