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électorale au siècle dernier, et dont le portrait se trouvait dans un des châteaux.

Cassel n’était plus reconnaissable. Ce n’était pas que tout le monde s’amusât, mais les deux cents mortels admissibles à la cour, les Hoffähig, par le droit de leurs quartiers ou de leurs charges, étaient en liesse. Le matin, on patinait au bas de la ville, sur les bords de la Fulda, dans la Auc, un magnifique parc tracé par Le Nôtre, au temps où les landgraves singeaient le roi-soleil. Dans la journée, on faisait des parties de traîneau dans les forêts attenantes au château de Wilhelmshoe, que le roi Jérôme, appelait, hélas ! Napoleonshoe ; et la nuit, après de plantureux soupers et d’étourdissans cotillons, on rentrait en ville à la lueur des torches, au son des fanfares et des grelots.

La charge du grand-maréchal n’était plus une sinécure ; ses fourriers étaient sur les dents. Les portes du palais qui, depuis le royaume de Westphalie, ne s’entre-bâillaient que de loin en loin, pour d’augustes, mais rares visiteurs, s’étaient ouvertes subitement à deux battans. On rattrapait le temps perdu depuis 1815. Ceux qui avaient l’honneur de dîner à la table de son altesse royale étaient convoqués pour quatre heures moins un quart, les invités au bal pour sept heures moins un quart. Ne pas être exact était presque un crime de lèse-majesté ; il suffisait d’une minute de retard pour être mal noté, et, en cas de récidive, disgracié. Les élus qui n’avaient pas d’équipage étaient à plaindre ; les voitures de louage étaient rares aussi ; les jours de bal, les cinq ou six carrosses disponibles se livraient-ils, dès quatre heures, à des courses désordonnées pour ramasser les invités. Les officiers, lorsque les rues étaient couvertes de boue et de neige, arrivaient sur le dos de leurs ordonnances. Les coiffeurs, ou plutôt les friseurs, — pour me servir du mot que la germanisation se plaît à revendiquer et imposer à l’Alsace, — étaient aussi rares que les carrosses. Les dames étaient forcées de prendre rang ; les mauvais numéros se faisaient coiffer dès l’aube et souvent la veille. Ni le goût ni la richesse ne présidaient aux toilettes ; elles étaient primitives, criardes ; une robe de Paris était un sujet d’ébahissement. On n’admirait alors que ce qui venait de France. Aux yeux des femmes allemandes, le Français seul était aimable. Les temps, depuis, ont bien changé.

A neuf heures, on annonçait le souper. L’électeur présidait la table des excellences ; de petites tables à quatre couverts étaient réservées aux danseurs. L’aristocratie était besogneuse ; elle se rattrapait aux festins du souverain. Elle se dédommageait de la vulgaire choucroute au lard avec la choucroute au faisan