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J’étais jeune, plein d’ardeur, j’avais le goût et le sens de la politique, et je me voyais réduit à piétiner sur place, à recueillir des commérages de cour, à m’intéresser à des personnalités subalternes, grotesques, à peindre des tempêtes dans un verre d’eau. Il m’en coûtait d’être enfermé dans un milieu sans horizons. Inspiré par l’instinct plus que par l’expérience, je me faisais de la diplomatie, de son rôle, de ses devoirs, une idée plus haute. Mais ce n’étaient que des aspirations, la poursuite de l’idéal. Je l’ai définie depuis, telle que je la comprends, après une longue carrière. Je l’ai comparée à un sacerdoce. Avoir l’œil toujours ouvert, s’appliquer à pénétrer le fond des choses, chercher, suivant l’expression de Leibniz, « le pourquoi du pourquoi, » — « avoir de l’avenir dans l’esprit, » suivant celle de Talleyrand, faire une chaîne d’un million de faits pour en dégager la pensée qui permettra au gouvernement que l’on représente, de mûrir et d’asseoir ses résolutions, n’est-ce pas une des plus nobles tâches ?

« Sentinelle avancée, ai-je dit, dans une de mes études, la diplomatie veille à la sécurité des frontières, elle signale les pièges, évente les perfidies, neutralise les coalitions ; c’est elle qui prépare la victoire, conjure la défaite ou atténue les revers. Ses luttes sont laborieuses, ingrates, parfois méconnues. Peu importe à ceux qui aiment et servent leur pays, c’est dans le sentiment du devoir accompli qu’ils trouvent leur récompense. »

J’avais la flamme sacrée, ce que Voltaire appelait le diable au corps. Mais, faute d’alimens, elle se consumait infructueusement, Je m’imaginais qu’à Paris on était avide d’informations, que les dépêches étaient lues, méditées. L’expérience m’apprit qu’il fallait en rabattre : les gouvernemens, tiraillés en tous sens, dominés par des questions de personnes, ne prêtent qu’une attention distraite aux rapports de l’étranger ; ils ne retiennent des correspondances que ce qui répond à leurs idées ou caresse leurs passions. — « Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu’ils se font haïr, » est une maxime que les ambitieux se gardent bien d’oublier.

La Hesse n’était qu’un infiniment petit, une quantité négligeable dans les affaires du monde. Je m’efforçais d’élargir mon cadre et de faire de ma lucarne un observatoire. Mes regards se reportaient vers Francfort, le centre de la confédération germanique, et surtout vers Berlin. Les passions que nous avions si inconsidérément soulevées en 1860, à propos du pacha d’Egypte, étaient mal éteintes ; elles couvaient sous la cendre, secrètement entretenues. Les mots de grande patrie, d’unité allemande, proscrits depuis le congrès de Laybach, avaient reparu. L’Allemagne contemplative, studieuse