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de rue ; les bourgeois la lisaient avec avidité, d’un air victorieux : elle consacrait leurs conquêtes. L’électorat était brusquement et définitivement entré dans la voie du progrès. La révolution de Juillet lui avait valu une charte, restée, il est vrai, à l’état de parchemin ; il devait à la révolution de Février la rupture irrévocable avec un odieux passé.

Mais si la capitale était satisfaite, Hanau, la seconde ville de l’électorat, ne l’était point. Elle voulait plus qu’un pacte constitutionnel, elle rêvait la dépossession du souverain. Hanau était un foyer révolutionnaire, le siège central de la Société des Turners. Pour les Turners, comme pour beaucoup de membres de notre Ligue des patriotes, la gymnastique n’était qu’un prétexte. Ils poursuivaient, affiliés dans tous les états de la confédération, l’unité allemande sous la forme républicaine. La Hesse était leur point de mire ; son gouvernement était impopulaire : ils comptaient le renverser et le remplacer, à l’exemple de Paris, par un gouvernement provisoire. Ils se flattaient que la république, proclamée à Cassel, ferait tache d’huile, et qu’avant peu, l’Allemagne entière serait débarrassée de ses princes. Leur audace autorisait le plan qu’ils avaient conçu. Ils étaient certains que personne ne s’intéresserait au sort de l’électeur, — il était la bête noire du parti libéral, — et que l’Allemagne entière applaudirait à sa chute. Ils le savaient opiniâtre, têtu ; ils ne doutaient pas de sa résistance. C’est sur son esprit étroit, autoritaire qu’ils spéculaient pour provoquer sa chute. S’ils avaient étudié l’histoire, ils auraient su que les despotes, lorsqu’il y va de leur salut, se prêtent aux plus humiliantes capitulations. La proclamation de l’électeur les avait déroutés. Ils ne s’attendaient pas à tant de condescendance. Les bourgeois de Cassel, à leur avis, s’étaient montrés trop accommodans, trop courtois, avec un tyran qui ne méritait aucun ménagement. Ils auraient dû le violenter, le pousser à bout. Ce qu’ils n’avaient pas osé faire, ils allaient l’entreprendre. Ils comptaient le soumettre aux plus dures exigences pour l’exaspérer et le pousser aux résolutions extrêmes.

C’est dans cet esprit qu’une députation arriva à Cassel le 13 mars, et s’annonça chez l’électeur pour lui présenter, sous la forme non pas d’une requête, mais d’un ultimatum, une adresse grossière, outrageante :

« Votre proclamation, disaient les délégués irrespectueux de la ville de Hanau, ne remplit pas les vœux du peuple. Le peuple se méfie de vous. Vos concessions ne lui offrent aucune sécurité ; aussi éprouve-t-il plus que jamais le besoin de prendre, vis-à-vis de votre Altesse Royale, une attitude encore plus ferme. Il a nommé un comité qui réclame au nom de tous : des ministres possédant sa