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psychologie religieuse : « Ce qu’il y a de plus important, dit-il (Épicure ? ), ce qui est pour ainsi dire capital, c’est ceci : tout homme sage doit avoir des opinions putes et saintes à l’égard de la divinité, et croire qu’elle est d’une nature grande et vénérable ; mais c’est dans les fêtes surtout qu’il s’achemine vers cette conviction, parce qu’alors tout ayant en quelque sorte à la bouche le nom de la divinité, il subit plus fortement l’impression que les dieux sont indestructibles. » Ainsi le sage puisera dans le spectacle de la piété populaire comme un redoublement de foi, et s’il pense autrement que la foule, il n’en croira pas moins devoir se mêler à elle, participer à ses pratiques, pour aviver, au contact de la dévotion commune, une ferveur dont chez lui seul nulle superstition ne défigure l’objet.


VI

Vainqueur de la crainte des dieux, Épicure avait un autre fantôme à exorciser ; la crainte de la mort. Ici, nous avons moins insister, car ce point de la doctrine est beaucoup mieux connu.

Dans son livre définitif sur le poème de Lucrèce, M. Marina avait déjà marqué, en quelques traits exacts et frappans, l’attitude mentale des anciens en face de la mort et de la vie future. M. Guyau montre à son tour, dans un des plus intéressans chapitres de son ouvrage, que les opinions des Grecs sur l’immortalité entretenaient de vagues terreurs et laissaient peu de place à l’espérance. Ces opinions, comme celles qui concernaient les dieux, avaient été accréditées principalement par les poètes. Or, dans Homère, la condition des morts est généralement triste : quelques héros, fils de Zeus, sont dans l’Olympe, Hercule, par exemple, dont le double seul est descendu dans les ténébreuses régions de l’Hadès. Les sacrilèges sont châtiés de supplices déterminés ; les autres, fantômes dont la mémoire et les forces éteintes sont passagèrement ranimées par le sang noir et chaud des victimes qu’ils boivent avidement, mènent une vie languissante et morne. Ils ont la même apparence qu’ici-bas ; ils portent les blessures qui les ont fait mourir, glissent, murmurent d’une voix grêle : ce n’est plus qu’une ombre de vie.

Sans doute, quelques poètes comme Pindare avaient tracé des peintures assez brillantes de la félicité des bienheureux. Il est permis de croire que les mystères d’Eleusis auraient aux initiés de belles espérances d’immortalité. Platon avait mis dans la bouche de Socrate cette conviction qu’après la mort, l’homme vertueux entre en compagnie d’une divinité pleine de sagesse. Dans l’Apologie,