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même. Et comme il ne conviendra ni à la dignité de M. Daudet, ni à celle de l’Académie, de les supposer personnelles, vous voyez bien la conséquence : il nous faudra conclure que l’Académie n’est pas tellement « passée de mode, » en train de « moisir sous sa coupole ; » et aussi que l’heureux auteur du Nabab et de Numa Roumestan a décidément le bonheur un peu aigre, le désintéressement bien amer, et l’insouciance furieusement querelleuse.

J’ajouterai seulement, pour tâcher d’être juste, que l’Académie française n’est pas seule maltraitée dans ce livre, et que l’université, l’architecture et la diplomatie, la science et « la société, » les grands-ducs de Finlande et l’archéologie préhistorique, — en la personne du baron Huchenard, — les relieurs et les princes, n’y apparaissent guère plus flattés. Jamais M. Daudet n’avait rien encore écrit de plus satirique, de plus violent surtout. Avec les qualités ou quelques-unes au moins des qualités habituelles de M. Daudet, qui ne sont point celles de M. Zola, vous diriez de Pot-Bouille, transposé dans un monde qui ne serait pas plus propre, au fond, mais mieux habillé cependant, qui garderait encore certaines apparences, qui n’étalerait pas ses vices en façade. Le sculpteur Védrine, beau, noble, intelligent et bon, achèverait de préciser la ressemblance, faisant ici le rôle du romancier naturaliste qui représentait la vertu dans Pot-Bouille. Et je n’en voudrais à M. Daudet ni de cette émulation d’artiste, ni de ce pessimisme, qui pouvait donnera son Immortel beaucoup de profondeur. Mais alors, pour le faire valoir, il eût fallu que, comme autrefois dans Sapho, par exemple, ou dans l’Evangéliste, son intrigue roulât sur quelque autre sujet que ceux qui s’entrecroisent dans son Immortel. On ne joue pas avec le pessimisme ; et quand on le veut toucher, c’est à d’autres questions qu’il faut que l’on s’attaque, sous peine de n’en donner que la caricature. C’est peut-être aussi avec d’autres moyens et d’autres procédés que ceux de la chronique.

Non pas ici que nous prétendions reprocher à M. Daudet les allusions ou les personnalités dont il paraît que son Immortel abonde. A la vérité, si j’avais l’honneur d’être romancier, c’est un moyen dont il me semble que je n’userais guère. Je craindrais trop qu’en ce genre de portraits, au lieu de mon talent, — car j’aurais la faiblesse de ne pas « me moquer » du succès ni du public, — on n’applaudit uniquement le mérite vulgaire de la ressemblance. Les photographes et les caricaturistes y atteignent trop aisément pour qu’un vrai peintre soit curieux de s’en entendre louer. Cependant, ce n’en est pas moins le droit du romancier que de travailler d’après le modèle vivant, et, le modèle vivant, c’est pour lui tous ceux qui s’exposent sur le théâtre du monde. Eh ! que resterait-il de Gil Blas ou du Diable boiteux, que resterait-il des Caractères de La Bruyère, si l’on en ôtait tous les Ripault-Babin et les