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curieux ; il faut encore que nous en connaissions les auteurs et qu’on nous montre en nous, au fond de nous, quelque chose de commun avec eux. Qu’avons-nous de commun avec le prince d’Athis ou Paul Astier ? et, pour nous les rendre intéressans, M. Daudet, comme un simple Ponson du Terrail, aurait-il compté sur le prestige des millions qu’ils convoitent ? Mais Astier-Réhu lui-même, si nous comprenons mieux les mobiles de ses actes, que nous importe qu’il occupe un troisième étage de la rue de Beaune ou l’appartement de son confrère Loisillon ? que ses « Charles-Quint » soient faux ou authentiques ? et qu’il ait dû son habit vert à son Essai sur Mare-Aurèle ou aux intrigues de Mme Astier, fille du « regretté Paulin Réhu » de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ? Pour avoir voulu faire une satire trop directe et des portraits ressemblans, M. Daudet a manqué cette part de satire plus générale des mœurs, et ces moyens d’intérêt profondément humain sans lesquels il n’y a pas de roman, — ni surtout de roman naturaliste.

Par cela seul, en effet, qu’il se donne comme une imitation plus fidèle de la vie et de la vérité, l’ait naturaliste est tenu, en imitant de plus près, d’imiter aussi plus profondément. Aux grands poètes et aux grands romanciers, de la famille de George Sand. on ne passe pas seulement l’invraisemblance de leurs inventions, on l’aime ; parce que leur objet est de nous ôter à nous-mêmes pour nous transporter avec eux dans un autre monde. Le prosaïsme ou la vulgarité de l’existence les attriste ; c’est leur plaisir que d’imaginer la vie selon un rêve qu’ils s’en font ; et, quand nous les lisons, nous leur demandons de nous faire partager ce plaisir. Mais l’art naturaliste, s’il ne supplée pas au charme de la fiction qu’il n’est plus, qu’il ne veut plus être, par l’étendue de l’observation ou la profondeur des peintures, il n’est rien. Non-seulement donc il devra ressembler, mais dans la ressemblance individuelle, il devra mettre quelque chose qui’ la dépasse, et qui en la dépassant la rende plus durable que son modèle. C’est ce que M. Daudet a oublié dans son Immortel, et c’est ce qui fait qu’on a bien pu le lire, mais on ne le relira point.

Comment ne l’a-t-il pas senti, que de la façon dont il les a peints, les personnages de l’Immortel ne représentaient rien d’autre ni de plus qu’eux-mêmes ? Car, ils sont si particuliers, et surtout si simples, qu’ils en cessent d’être vrais, d’être humains ; ils sont si « Parisiens » qu’ils en deviennent artificiels ; ce ne sont plus que des caricatures dont l’intérêt s’efface avec la disparition de leurs originaux. Astier-Réhu collectionne des autographes, et que fait-il avec cela ? Il collectionne des autographes. De même Paul Astier, son architecte de fils, quand il a pris les princesses pour a les asseoir sur ses genoux, » alors il « roule, il enveloppe, il reprend, il étreint, il engloutit » les duchesses ;