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puissance. Vous voyez que, pour rester en paix, il faut deux volontés ; il ne suffit pas de dire : je veux être pacifique, il faut encore que nos adversaires aient le même désir. Le meilleur moyen de vaincre leur obstination n’est pas de rester tranquille chez soi : la défensive absolue nous aurait bientôt perdus. Je sais bien que les gens qui ne comprennent pas diront : « Mais ils vont chercher la guerre ; pourquoi ne restent-ils pas en paix pour faire des routes, des édifices, de la colonisation ? » Je réponds à ces braves gens qui veulent ainsi juger à tort et à travers, que nous allons chercher la guerre parce qu’elle est à nos portes, et que, si nous n’y allions pas, elle viendrait avec des avantages moraux que nous voulons lui enlever. »


II

La guerre n’était pas seulement aux portes, elle était dans la maison même.

Le 25 mars, le maréchal Bugeaud, revenu de France, avait repris la direction des affaires ; comme il voulait donner en personne ses instructions à La Moricière, il s’embarqua pour Mers-el-Kébir, prit le général à son bord et poursuivit avec lui jusqu’à Djemma-Ghazaouat. Il persistait à trouver ce poste détestable, surtout trop largement installé ; il en fit publiquement le reproche à La Moricière : « Vous autres messieurs qui sortez du génie, lui dit-il, vous avez le génie des fortifications, mais vous n’avez pas le génie de la guerre. » C’était dur ; puis il ajouta : « Si je ne trouve pas une population européenne à jeter ici, j’évacuerai ce poste ; c’est un boulet qui nous est accroché à la jambe. »

Le maréchal rentra, le 6 avril, à Alger ; quelques jours après, le Dahra était en feu. Remarque importante : Abd-el-Kader n’y était pour rien. L’agitateur se trouvait être un jeune homme d’une vingtaine d’années, un inconnu venu du Maroc ; il s’appelait Mohammed-ben-Abdallah ; mais les Kabyles lui avaient donné le surnom de Bou-Maza, — l’homme à la chèvre, — parce qu’il était toujours suivi d’une chèvre dressée à faire quelques tours dont les Kabyles, naïfs et crédules, étaient émerveillés. Ceci était bon pour le menu peuple ; chez les gens de condition moyenne, Bou-Maza passait pour un saint : khouan de l’ordre de Mouley-Taïeb, un des plus anciens et des plus considérés dans q Maroc, il avait conquis par ses prières, par ses mortifications, par ses extases, une réputation extraordinaire ; de Mostaganem à Cherchel, il n’était parlé que de lui.

Un beau jour, chez les Ouled-Djounès, il fit sa révélation : il était le chérif envoyé de Dieu, celui qui devait venir au moment