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Chappedelaine avec une quinzaine de carabiniers en observation sur une colline intermédiaire.

A 3 kilomètres environ du bivouac, la fusillade commença. Les cavaliers arabes n’étaient pas nombreux, une centaine tout au plus. Montagnac les fit charger par les hussards ; ils se retirèrent, entraînant de plus en plus loin la charge ; les chasseurs à pied étaient déjà fort en arrière. Tout à coup, une grosse masse de cavalerie, qui s’était tenue jusque-là cachée derrière un pli de terrain, sortit d’embuscade et prit en flanc les deux premiers et très petits pelotons d’avant-garde. Les deux officiers qui les commandaient, le capitaine Gentil Saint-Alphonse et le lieutenant Klein, tombèrent, l’un tué sur le coup, l’autre blessé mortellement. Accouru au galop avec les deux pelotons de réserve, Montagnac fut presque aussitôt atteint d’une balle ou bas-ventre ; cependant il se maintint encore à cheval, encourageant ses hommes, qui cherchaient à se rallier sur un mamelon. Il n’y en parvint qu’une vingtaine ; ce fut là que les chasseurs à pied les rejoignirent.

Une attaque à la baïonnette des premiers arrivés ne réussit pas ; le capitaine de Chargère fut tué, sa compagnie écrasée sous le nombre. De tous les villages voisins, les Msirda étaient venus par centaines, et ce qui redoublait l’ardeur des assaillans, l’émir, le sultan, Abd-el-Kader était là, sur le terrain du combat, en personne. Montagnac vivait encore, mais il ne pouvait plus se tenir à cheval ; assis sur une pierre et comprimant d’une main sa blessure, il avait fait former en carré les deux compagnies restantes et dépêché vers le commandant Froment-Coste le maréchal des logis chef Darbut, avec l’ordre d’accourir à la rescousse ; puis il avait appelé le chef d’escadrons Courby de Cognord, et lui avait remis le commandement en lui disant : « Ne vous occupez pas de moi, mon compte est réglé. Tâchez de gagner le marabout. » Sur cette dernière parole, il tombe mort.

Les chasseurs tiennent toujours, mais ils n’ont plus de cartouches, et les baïonnettes ne suffisent pas. « Les Arabes, a dit l’un des rares survivans de cette poignée de braves, dont l’héroïsme réveille les souvenirs de Waterloo, les Arabes, resserrant le cercle autour de ce groupe immobile et silencieux, le font tomber sous leur feu comme un vieux mur. » Courby de Cognord gît sans connaissance, couvert de blessures ; un Arabe va lui couper la tête ; quand un vieux régulier, reconnaissant son grade aux soutaches du dolman, le traîne où sont les prisonniers blessés.

(Cependant, averti d’abord par le lieutenant de Chappedelaine, puis par le maréchal des logis chef Barbut qui le guide, le commandant Froment-Coste accourt avec l’adjudant-major Dutertre et