Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commandant Charras. Les Gharaba bloquaient de fait, quoique sans hostilités ouvertes, Saint-Denis-du-Sig. Les communications d’Oran avec Mascara et avec Sidi-bel-Abbès étaient interrompues. Le poste-magasin inoccupé d’Ouizert, où se trouvaient des vivres et des fourrages, était réduit en cendres ; les Ferraga pillaient un convoi sur la route de Mascara ; l’insurrection était chez les Beni-Chougrane et s’étendait à toute la montagne d’EL-Bordj et aux Bordjia de la plaine. Nos camps de travailleurs, pour se retirer dans les places les plus voisines, traversaient, le fusil à la main, les populations hostiles. Près de Saïda, un kaïd et des indigènes qui nous étaient dévoués étaient assassinés ; à Saïda même, une tentative d’incendier le gros approvisionnement de foin formé sur ce point échouait heureusement. Le chef du bureau arabe de Tiaret, le lieutenant de Lacotte, était arrêté par trahison chez les Beni-Médiane, qui égorgeaient ses chasseurs d’escorte et le livraient à l’ennemi. Le maghzen de Tiaret, composé d’Arabes qui nous devaient tout, déserta tout entier ; les Harar et les Ouled-Khelif en firent autant. Grand enseignement, qu’il ne faut pas perdre de vue, une pareille situation s’était déclarée en moins de huit jours ! »

Venu par mer d’Alger à Mers-el-Kébir avec trois bataillons, La Moricière avait hâte de rejoindre à Tlemcen Cavaignac, qui avait déjà rappelé de Sebdou le colonel de Mac-Mahon, du 41e. Le danger le plus pressant n’était pas sur ses derrières, quoique l’insurrection y fut menaçante ; il était devant lui, là où était Abd-el-Kader ; c’était de ce côté-là qu’il fallait faire tête. Rallié en chemin par le général Korte, qu’il avait appelé de Sidi-bel-Abbès, il ne fit que toucher, le 7 octobre, à Tlemcen, d’où Cavaignac était parti afin d’empêcher l’émigration générale des Beni-Amer et des Ghossel, que l’émir voulait entraîner vers la deïra.

Le 9, les deux colonnes se réunirent au col de Bab-Taza, allèrent prendre des vivres à Djemma-Ghazaouat, puis se portèrent sur Aïn-Kébira, au cœur du pays montagneux des Trara. Elles comptaient ensemble 4,500 baïonnettes, 650 sabres et 10 obusiers de montagne. Le 13, la position d’Aïn-Kébira fut attaquée, à droite par La Moricière, à gauche par Cavaignac. Les Trara leur opposèrent une vive résistance ; mais délaissés par Abd-el-Kader, qui craignait de compromettre sa cavalerie sur un terrain difficile, les malheureux Kabyles se sacrifièrent inutilement pour lui. Poussés, refoulés par le vainqueur, ils pouvaient être anéantis et jetés à la mer. Si La Moricière eût écouté ses soldats, vengeurs de Sidi-Brahim, pas un Trara, pas un Beni-Amer, pas un Ghossel n’aurait échappé ; le général brava l’impopularité, fut clément aux vaincus et se contenta de leur soumission. Il n’avait pas de temps à perdre aux