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voulait pas abandonner le pays des Ouled-Naïl avant d’avoir chassé Abd-el-Kader ; il sentait que, s’il s’éloignait seulement pendant quelques jours pour venir à Boghar se remettre et échanger ses troupes, il pouvait perdre le fruit de tous ses travaux et relever les actions de l’émir. Je trouve que c’est bien joué, et je jugerais ainsi lors même qu’il n’aurait pas gagné la partie. On ne fait les choses extraordinaires à la guerre qu’avec des moyens extraordinaires. »

Organisée d’abord à Mascara, la colonne Renault ne fut définitivement formée qu’à Frenda ; elle comprenait six bataillons d’un effectif de 2,600 hommes, et quatre escadrons comptant 350 chevaux ; il y avait de plus 200 cavaliers de la Yakoubia. Elle bivouaqua, le 24 mai, à la pointe orientale du Chott-el-Chergui, et atteignit, trois jours après, Stitten, où elle eut des nouvelles d’Abd-el-Kader. Il était dans les montagnes des Ksour, chez les Trafi ; mais quand il avait demandé aux gens d’Arbâ le cheval de soumission, ils lui avaient répondu : « Nous n’avons pas de cheval ; nous ne pouvons te donner qu’un âne. » C’était peu encourageant ; aussi avait-il envoyé plus loin, à Chellala, son convoi réduit à quelques mulets et à trois chameaux, l’un desquels portait sa femme. Ce qui n’était pas encourageant davantage, c’était la réponse des Ouled-Sidi-Cheikh à ses exhortations belliqueuses : « Tu es comme la mouche qui excite le taureau, et quand tu l’as irrité, tu disparais, et c’est nous qui recevons les coups. »

Le 1er juin, les éclaireurs du colonel Renault le surprirent à Chellala-Gueblia ; il n’eut que le temps de se mettre à cheval et de fuir. Des envoyés se présentèrent au colonel de la part des Ouled-Sidi-Cheikh, et lui dirent : « Nous sommes les supports de la tente que tu veux planter ; nous voici ; nous soutiendrons l’édifice. » Ainsi les nomades abandonnaient successivement Abd-el-Kader. Le 12 juin, le colonel Renault prit son bivouac au ksar abandonné d’El-Biod ; il y avait de l’eau qui par bonheur n’était pas saumâtre et du fourrage en abondance. C’est le poste qui est devenu, sept ans plus tard, Géryville. Le 25, la colonne reprit la direction du Tell. Le 1er juillet, elle atteignit Frenda, et Mascara le 5.

Depuis deux jours, Abd-el-Kader était rentré dans le Maroc par Figuig ; on ne tarda pas à savoir qu’il avait rejoint la deïra, le 18 juillet, après sept mois de la vie la plus agitée par les péripéties les plus émouvantes.


CAMILLE ROUSSET.