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fait ou failli faire autant de mal que le marinisme à l’esprit français ; et s’il en est une des deux qui, parmi les auteurs comme dans la société polie, ait plutôt dominé sur l’autre, c’est l’espagnole, dont les grands écrivains, auxquels alors l’Italie ne pouvait opposer que son cavalier Marin, étaient les plus grands que l’Espagne ait connus : Cervantes, Lope de Vega et Calderon. Pour cette raison, suivant à son tour l’exemple de « feu Hardy, » comme il l’appelle ordinairement, celui de Rotrou, de Scudéri, et avec eux, suivant le goût public, je pense que, sans aucun M. de Châlon, Corneille, un jour ou l’autre, serait venu de lui-même à l’imitation du théâtre espagnol. Et n’y était-il pas aussi bien comme prédestiné par une affinité de nature, lui, qui plus tard, quand il imitera les anciens, ira droit parmi eux aux Espagnols, à Sénèque, qui était de Cordoue, et à Lucain, le neveu de Sénèque ?

On a tant parlé du Cid, et de « la Querelle du Cid, » qu’il y aurait presque de l’impertinence à vouloir en dire quelque chose de nouveau. Nous ignorons, à la vérité, s’il en faut dater la « première » du mois de décembre 1636 ou du mois de janvier 1637, et, le cas échéant, cette ignorance ou cette incertitude pourrait être fâcheuse. On a pu dire aussi que l’histoire de la querelle serait encore à faire ; et M. Henri Chardon, dans un livre curieux, comme tous ceux que nous lui devons[1], ne s’est pas contenté de le dire, il l’a prouvé, en produisant lui-même des pièces peu connues ou inédites, qui devront désormais y entrer. La Correspondance de Chapelain, récemment publiée par M. Tamizey de Laroque, vaudrait peut-être aussi la peine, à cette occasion, d’être examinée de plus près. Mais puisque, d’une part, nous ne débrouillerons jamais les vraies raisons de Richelieu pour s’être rangé, comme il fit, du côté des rivaux ou des ennemis de Corneille ; et que, d’autre part, si le Cid est un chef-d’œuvre, les Sentimens de l’Académie sur le Cid, — ou plutôt de Chapelain, — ne laissent pas d’en être une assez bonne critique, toutes ces petites questions sont aujourd’hui pour nous d’un fort mince intérêt. J’emprunterai donc seulement à M. Charles Arnaud cette juste remarque, — parce qu’il faut tâcher d’être juste à tout le monde et même à Chapelain, — que cet illustre pédant ne mit dans cette affaire ni toute la platitude ni toute l’animosité qu’on lui prête ; et cela par l’excellente raison qu’au fond les choses de théâtre ne lui importaient guère. Au lendemain du Cid, longtemps encore après le Cid, l’art dramatique, il faut bien le savoir, était considéré comme une besogne littéraire quelque peu inférieure ; c’étaient l’ode, le sonnet, le poème épique,

  1. La vie de Rotrou mieux connue, et la Querelle du Cid, par M. Henri Chardon. Paris, 1884, A. Picard.