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de leur crédit, mais ils allaient bientôt le perdre. C’était déjà la querelle des anciens et des modernes, et les anciens ne tenaient pas encore la victoire, mais ils reprenaient l’offensive. Par-delà Scaliger ou Castelvetro, les critiques prétendaient remonter eux-mêmes jusqu’à l’autorité d’Aristote. Les traductions abondaient, ces « belles infidèles, » comme on les a justement appelées, mais dont on néglige de dire qu’elles l’étaient de parti-pris, et qu’il s’agissait moins, pour ceux qui les faisaient, de comprendre l’esprit de l’antiquité que de l’accommoder à leur manière, afin d’en répandre la connaissance autour d’eux, parmi les dames et les gens de lettres. S’ils avaient tort ou raison, je ne le déciderai point, mais ils l’entendaient de la sorte ; et c’est ainsi que du Ryer, le poète et l’auteur dramatique, un des rivaux ou des émules, en son temps, de Corneille, a traduit Isocrate, Hérodote, Tite-Live, Polybe… Enfin ce goût de l’histoire et de l’antiquité allait bientôt passer de là jusque-dans le roman ; et ce que le vieux Dumas a fait de l’histoire de France dans ses Trois Mousquetaires ou dans sa Dame de Monsoreau, La Calprenède et les Scudéri, le frère et la sœur, George et Madeleine, l’une écrivant et l’autre signant, ils l’allaient faire de l’histoire grecque et romaine, avec leurs Cassandre, leurs Cléopâtre, leurs Cyrus, leurs Clélie. C’est dans Cassandre et dans Cléopâtre, on ne saurait l’oublier, que La Rochefoucauld et Mme de Sévigné ont pris leurs idées de l’antiquité, en même temps que dans les traductions de du Ryer ou de Perrot d’Ablancourt.

Avec une grande sûreté de coup d’œil, et non pas sans quelque intention de ramener à lui les vrais juges du temps, ceux qui savaient du grec et du latin, la poétique et la rhétorique, Corneille vit le profit que l’art et la poésie dramatiques pouvaient tirer de ce retour du goût aux choses de l’antiquité. En effet, aux événemens imités de la vie commune, ou entièrement imaginaires, — comme tant de tragédies ou de tragi-comédies dont on avait emprunté la matière au roman de l’Astrée, — si l’on substituait les actions extraordinaires de l’histoire, on évitait d’abord le reproche d’invraisemblance ou d’exagération, puisque c’était écrit. Pareillement, on évitait l’accusation d’immoralité, que le Cid avait encourue, puisqu’en représentant les monstres de l’histoire, si les faits demeuraient condamnables, les intentions étaient hors de cause, et comme innocentées par l’obligation d’être fidèle à la vérité. Pareillement encore, ces sentences et ces maximes, ces tirades politiques et ces dissertations d’état, ces délibérations où le poète, en un sujet moderne, eût paru suspect d’outrepasser son droit et de parler sans titre, elles devenaient de règle et de nécessité, elles entraient dans la constitution ou la définition du poème, dès que c’était Sertorius, ou Pompée, ou César, ou Auguste, ou Othon que