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déclarait que les Turcs n’en étaient pas, il se flattait, lui, d’avoir « conservé à ses illustres le caractère de leur temps, de leur nation et de leur humeur. » Mais sans disputer plus longtemps sur ce point, je dis que s’il y avait quelques moyens d’effacer de ses personnages ce qu’il y voulait mettre, c’était justement ceux qu’il en a pris dans ses dernières tragédies. Peindre « Othon galant » et « Attila dameret, » leur faire faire l’amour parmi les armes, comme dans le Grand Cyrus ou dans la Clélie, on ne pouvait rien imaginer qui les défigurât, — je ne veux pas dire qui les caricaturât, — de façon plus étrange.


O beauté, qui te fais adorer en tous lieux,
Cruel poison de l’âme et doux charme des yeux,
Que devient, quand tu veux, l’autorité suprême ? ..


Nous crierions à l’invraisemblance, et nous aurions raison, si c’était à Louis XIV que l’on fit « pousser » de pareils madrigaux, et c’est dans la bouche d’Attila que Corneille les a mis.

Ce qui est plus grave encore, il fausse ainsi sa conception de la volonté, et, avec elle, il pervertit la notion même de l’histoire. Car, des fades amours de ses Othon et de ses Attila, non content d’en avoir fait un trait de leur caractère, au lieu d’une distraction de leurs sens, voici maintenant, lui, l’auteur d’Horace et de Cinna, qu’il en fait l’instrument de leur fortune et le principe de leurs résolutions. Sans les femmes qui conspirent pour lui, son Othon ne deviendrait pas empereur. Son Attila ne mourrait pas sans les Ildions et les Pulchérie qui s’unissent contre lui. Mais, en dépit des anecdotiers, quel que soit l’universel pouvoir des passions de l’amour, c’est là précisément qu’il vient échouer et qu’il expire, quand il rencontre la volonté de ces grands ambitieux et de ces grands remueurs d’hommes. Quelques Antoine ont pu s’oublier entre les bras de leur Cléopâtre, mais les Octave ne s’y sont pas laissés tomber ; et jamais femme n’arrêta dans leur course un César ou un Cromwell, un Richelieu ni un Bonaparte. Ce n’est donc plus seulement le « costume » de l’histoire, si je puis ainsi dire, que l’on altère quand on nous les peint amoureux, c’est l’esprit même que l’on en méconnaît et que l’on en dénature. Mais si c’est bien ce que Corneille a fait dans ses dernières tragédies, que parle-t-on de « vérité des mœurs, » et de « couleur locale, » et de « sens de l’histoire ? » Comment peut-on dire qu’en en séparant l’intrigue d’amour qui les remplit, la valeur historique de Sertorius ou d’Othon demeure tout entière ? et comment, par quelle opération de chimie psychologique, les peut-on séparer seulement ?

J’irai plus loin ; et je dirai que ce qu’on loue dans les dernières tragédies de Corneille, sous ces noms mêmes de « couleur historique »