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péremptoires de son représentant en Espagne, qu’il ne pouvait attendre aucune concession de ses ennemis, il plaidait énergiquement sa cause à Utrecht, et particulièrement à Londres. Après tout, le sacrifice, auquel voulaient bien consentir sa tendresse pour son aïeul et son amour pour le repos de l’Europe, n’était-il pas purement conditionnel ? N’avait-il pas le droit de demander, d’imposer même de larges compensations ? Il ne refuserait pas certainement à l’Angleterre les avantages qu’elle demandait pour son commerce ; mais pouvait-elle exiger absolument qu’il abandonnât toutes les Indes, toute l’Italie, dont plusieurs places importantes étaient encore sous sa domination, la moitié de son empire, en un mot, au moment où la fortune lui prodiguait ses faveurs, au moment où elle venait de lui soumettre, après la belle et décisive victoire de Villaviciosa, tout le territoire de la Péninsule, sauf quelques villes de la Catalogne, où elle venait de raffermir les bases chancelantes de son trône ? Le roi de France avait-il entre les mains les moyens de l’y contraindre ? Et en supposant que ce jeune prince, refusant de conserver une monarchie ainsi réduite et déshonorée, de porter plus longtemps une couronne mutilée, optât pour celle de France, était-il admissible qu’après avoir régné douze ans en Espagne, il revint à Versailles prendre simplement son rang parmi les fils de France et y attendre, tandis que son neveu, quoique faible et maladif, vivait encore. « la succession incertaine » de son aïeul ? Pouvait-on lui imposer cette humiliation ? N’était-elle pas indigne du noble pays dont l’assistance chevaleresque allait rendre la paix au monde ? Une solution si mesquine et si dure amoindrirait assurément une œuvre si magnifique et si généreuse !

Contre toute attente, les ministres de la reine ne se montrèrent point insensibles à ce langage. Au lieu d’y opposer, ainsi que le craignait Louis XIV, les exigences impitoyables de leurs alliés et de s’en tenir uniquement à l’option pure et simple qu’ils avaient demandée tout d’abord, ils produisirent inopinément, le 16 mai, un nouveau projet qui surprit vivement le vieux monarque, charma un instant ses regards par de douces perspectives, et modifia brusquement ses résolutions. Dès le surlendemain, il en rendit compte lui-même au marquis de Bonnac :

« J’ai tellement rejeté la proposition qui m’avait été faite d’obliger mon petit-fils à quitter l’Espagne et à revenir auprès de moi mener une vie privée dans l’attente incertaine d’une succession, s’il voulait conserver ses droits sur la mienne, que le gouvernement d’Angleterre s’est enfin déterminé à me proposer un moyen de faire régner le roi catholique et de lui conserver, en même temps, les droits de sa naissance. Les lettres venues de Londres contiennent une proposition nouvelle de lui laisser le royaume de Sicile,