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tant d’envieux et tant d’ennemis. Cette fortune a failli sombrer en 1704, sous les coups de la tempête que les manœuvres calomnieuses de ses rivaux et ses propres imprudences ont soulevée. Rappelée brusquement d’Espagne pour avoir violé ouvertement les secrets d’une correspondance hostile et perfide, elle avait encouru la disgrâce royale, le pire de tous les maux qui la pouvaient frapper. La cour lui fermait ses portes ; on songeait à la renvoyer en Italie. L’appui que lui prêtaient les plus puissans de ses amis, la duchesse de Noailles, le marquis de Torcy, Mme de Maintenon elle-même, était devenu réservé, timide, hésitant. On feignait de ne plus la connaître ; on baissait les yeux sur son passage ; son crédit semblait perdu sans ressources. Enfin, à force d’humiliations, de prières, d’habiletés, elle avait obtenu une audience du roi. Louis XIV lui avait permis de venir, en sa présence, expliquer ses indiscrétions, justifier sa conduite et, dès qu’il s’était trouvé devant elle, il avait subi les charmes irrésistibles de cette adroite et belle parleuse, qui gagnait toutes les causes quand elle prenait la peine de les plaider, par la chaleur insinuante de ses paroles, par les séduisantes distinctions de ses manières et de sa personne. La confiance du roi lui fut rendue, et la faveur nouvelle dont il l’honorait publiquement devint bientôt si brillante qu’elle porta ombrage à sa toute-puissante amie. Louis XIV hésitait à la renvoyer en Espagne, sentant bien que, tôt ou tard, elle échapperait à ses directions et reprendrait son indépendance. On a dit que les instances égoïstes de Mme de Maintenon vainquirent ces judicieux scrupules et décidèrent le retour de la princesse, ardemment sollicité par Philippe et par Louise-Marie de Savoie ; ce retour avait été le plus flatteur, le plus éclatant des triomphes.

Après un interrègne de quinze mois (avril 1704, — août 1705), sa main avide et ferme avait ressaisi les rênes flottantes du pouvoir. Gouvernant, comme elle avait fait jadis, le roi par la reine et l’état par le roi, s’appuyant sur des hommes capables et hardis dont l’intérêt personnel lui assurait le dévoûment, ranimant les courages aux jours de défaillance par des conseils hardis et patriotiques, faisant surgir d’heureux et féconds expédiens lorsque les ressources manquaient de toutes parts, elle avait rendu à Philippe des services immenses, vaincu toutes les oppositions, brisé toutes les résistances, acquis un pouvoir presque absolu. Chaque jour, ce pouvoir devenait plus incontestable, plus irrésistible, plus audacieux. Elle en goûtait maintenant, avec une voluptueuse sécurité, les ineffables douceurs, après avoir subi les angoisses de l’exil et les désespoirs de la disgrâce. Était-il possible qu’elle consentit à y renoncer pour courir à des aventures nouvelles ?

Appelés par ses conseils aux fonctions publiques, les hommes qui