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pas encore renoncé à l’espoir de gouverner, un jour, les deux royaumes, soit comme roi de France et régent d’Espagne, soit comme roi d’Espagne et régent de France. C’était l’ambitieuse pensée que le marquis de Bonnac avait surprise, et qui, soigneusement entretenue par Mme des Ursins, fortifiée par les calculs et les conseils d’Albéroni, devait conduire un jour, comme on l’a fait déjà remarquer, à la folle entreprise de Cellamare.

Tant qu’il peut entrevoir quelque chance d’obtenir l’adhésion de Philippe aux désirs de son aïeul, Bonnac n’abandonne pas la partie. Il déclare à son royal interlocuteur que, « si on ne peut pas le faire changer de sentiment en le prenant du côté du cœur, il espère être plus heureux en parlant à sa conscience. « Il rappelle alors, en termes chaleureux, les malheurs sans nombre dont souffre la France depuis le commencement de la guerre. Certes, si on ne peut dire que le roi catholique en a été la cause, « on ne peut nier, tout au moins, qu’il en ait été l’occasion ; il s’agit de retirer le royaume du gouffre des infortunes où il se trouve présentement plongé pour l’amour de lui, et de prévenir celles où il pourrait tomber à l’avenir. » Sans doute, le souvenir des unes et la crainte des autres s’effaceront bientôt si sa majesté catholique défère au vœu de son aïeul ; « mais les unes et les autres demeureront sur son compte devant Dieu et devant les hommes, si Elle s’obstine à préférer des vues et des convenances peut-être personnelles à de si grands et justes motifs. » Quelle gloire cependant pour elle de régner sur la monarchie française accrue du Piémont, du Montferrat, de la Savoie et du duché de Nice ! Comment pourrait-elle se montrer insensible à de si magnifiques perspectives ! a Je la suppliai encore une fois, poursuit Bonnac, d’examiner les motifs qu’Elle avait de prendre une résolution que j’osais dire précipitée ; je la suppliai de croire et votre Majesté et toute la France quand elles lui expliquaient les véritables intérêts du royaume, dans la supposition qu’Elle en serait un jour le maître. »

Cette touchante et pressante allocution n’a pas converti sa majesté catholique. Quelques paroles de sympathie pour les désastres de son pays natal et de gratitude pour les bontés de son grand-père tombent lentement de ses lèvres ; mais elle répète avec une insistance marquée « que tout ce qu’on pourrait lui dire dorénavant sur ce sujet serait inutile, qu’Elle ne donnerait sa réponse pour Sa Majesté qu’après avoir fait ses dévotions, qu’Elle pouvait d’ailleurs m’assurer, par avance, qu’elle serait telle qu’Elle me l’avait déjà expliquée. »

Bonnac, cependant, tente un suprême effort : Philippe ignore-t-il donc que, s’il repousse les propositions de la reine, s’il conserve la couronne d’Espagne, on ne lui rendra pas « un pouce de