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Denain va dissiper ses mortelles angoisses. Voysin a donné, au nom du roi, des indications pressantes et des conseils impatiens :

« Je souhaite que votre projet sur le camp de Denain réussisse promptement ; mais, si cela manquait, vous auriez peut-être regret d’avoir laissé aux ennemis le temps de rassembler toutes leurs troupes… Toutes vos lettres sont pleines de réflexions sur le hasard d’une bataille, mais peut-être n’en faites-vous pas assez sur les tristes conséquences de n’en point donner et de laisser pénétrer les ennemis dans le royaume[1]. »

Villars hésite. Il a tenté vainement de secourir Landrecies. De cruelles et légitimes perplexités l’assiègent, lui, l’homme le plus confiant et le plus décidé du royaume.

« Je tâcherai d’exécuter le projet de Denain, qui serait d’une grande utilité ; s’il ne réussît pas, nous irons sur la Sambre… Les batailles sont, comme vous savez, dans les mains de Dieu, et de celle-ci dépend le salut ou la perte de l’état, et je serais un mauvais Français et un mauvais serviteur du roi si je ne faisais les réflexions convenables[2]. »

Il arrête enfin, dans la soirée du 23 juillet, le plan mystérieux, dont l’heureuse exécution, confiée, sous son commandement, à des chefs habiles, Montesquiou, Albergotti, Vieux-Pont, Broglie, Brendlé, Dreux, Isenghien, Mouchy[3], doit rendre la victoire à nos drapeaux humiliés par tant de revers. Le 24, les fortifications du camp retranché qui garde, à Denain, a le chemin de Paris, » et qui protège les communications de l’armée du prince Eugène avec la ville de Marchiennes, d’où elle tire toutes ses provisions, sont emportées après une défense héroïque. Sur 12,000 hommes qui le gardaient, 10,000 sont tués ou se noient dans l’Escaut. Leur général, le comte d’Albemarle, est fait prisonnier. En moins de six semaines, Villars restaure la barrière de la France. Le 30 juillet, Marchiennes capitule et tous les magasins de l’ennemi tombent ainsi en notre pouvoir. Saint-Amand et Mortagne se sont rendus le 26. Nous reprenons Douai le 8 septembre, Le Quesnoy et Bouchain les 4 et 10 octobre. Les soldats d’Eugène sont démoralisés ; ils se débandent, désertent, se livrent ouvertement au pillage. Ne pouvant plus tenir la campagne, le prince de Savoie lève le siège de Landrecies et recule sur Mons. « Jamais, écrit son intrépide adversaire, miracle ne fut mieux marqué, ni révolution plus subite ; il y a trois mois que nous étions sans troupes, sans munitions, sans artillerie et sans voitures, et ne pouvant qu’être spectateur de ce que M. le

  1. Voysin à Villars, 23 Juillet 1712.
  2. Villars à Voysin, au camp du Cateau, 21 juillet 1712.
  3. Vieux-Pont et Broglie menaient l’avant-garde, sous la direction du maréchal de Montesquiou.