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ne me paraissait pas qu’il eût passé jusqu’à présent autre chose dans la tête du roi d’Espagne, si ce n’est, au cas où M. le dauphin vînt à mourir, de passer personnellement dans le royaume et de laisser la reine en Espagne. — C’était un piège que Bonnac tendait au jeune roi ; il plaidait le feux pour savoir le vrai. « Le roi m’arrêta tout court là-dessus : — Cela ne m’a pas passé du tout par la tête, et vous ne devez pas l’écrire. — Mais, lui dis-je, Sire, considérez-vous que ma lettre sera lue devant le roi votre grand-père et même des ministres, et témoigne du peu d’empressement de votre Majesté pour sa nation ? — Il me dit : — Cela n’importe ; je ne veux point abandonner les Espagnols, ni qu’on écrive ni dise rien qui puisse le faire soupçonner[1]. »

« Sa Majesté est fort éloignée de pareils sentimens, écrit, dans une épître indignée qui porte la date du 27 juin, la princesse des Ursins à Torcy ; je ne puis m’empêcher d’être étonnée qu’il y ait des gens qui jugent aussi mal cette rare princesse dont toutes les actions, sans se démentir, ont été droit à l’honneur et à la raison ; on se lassera peut-être de ne pas rendre justice à toutes ses merveilleuses qualités. »

Il faut cependant couper court à ces dangereux murmures, qui sont parvenus jusqu’aux oreilles des ministres de la reine. C’est pourquoi Louis XIV presse son petit-fils de rassurer l’Angleterre et ses ombrageux alliés par un nouvel acte qui ne laisse subsister aucun doute quelconque sur le caractère, la sincérité et la validité de sa renonciation. Il ne suffit pas que Philippe l’ait annoncée aux Espagnols par une proclamation généreuse, qu’il leur ait affirmé publiquement sa résolution inébranlable de vivre et de mourir avec eux. On exige qu’elle soit formulée par un document authentique dont la rédaction, soigneusement élaborée à Madrid, approuvée et, au besoin, corrigée à Versailles, sera minutieusement contrôlée et convenablement amendée à Londres, si cela est nécessaire, afin qu’elle n’admette aucune réticence et ne puisse prêter à aucune équivoque ; qu’après avoir été examinée de nouveau et acceptée définitivement par la junte et par le roi d’Espagne, elle soit affirmée par Philippe v, sous la foi du serment, en présence des cortès du royaume et d’un envoyé de sa majesté britannique ; que des expéditions officielles en soient dressées et remises, l’une à cet envoyé, l’autre au ministre du roi de France, pour être expédiées sans délai à leur gouvernement respectif. De là une négociation difficile, qui se poursuivra, pendant plus de trois mois, à Londres, à Utrecht, à Paris, à Madrid, pendant laquelle l’Angleterre usant, en faveur de ses alliés, de la prépondérance que les événemens lui ont

  1. Bonnac à Torcy, 8 août 1712.