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de donner un revenu : ils le font aujourd’hui encore, peut-être plus que jamais. Toutes les anciennes fondations religieuses ont eu cette origine ; ce n’est pas au christianisme qu’en échoit le monopole, quoique cette religion, plus que toute autre, enseigne l’amour du prochain. Allez dans les pays musulmans : Voyez quelle énormité de biens, sous la dénomination de wakoufs ou de wakfs en Turquie et en Égypte, sous celle de habbous en Tunisie, ont été destinés par les particuliers à la satisfaction soit des besoins moraux de l’humanité, soit des besoins physiques de ceux qui souffrent. A Tunis, par exemple, ces habbous abondent. Ils possèdent une part considérable de la régence. Quelques-uns ont une charmante légende : on me montre un puits au milieu d’une solitude, et l’on me dit : Une princesse arabe passa jadis par là, elle y souffrit de la soif ; rentrée chez elle, elle donne des fonds pour que ceux qui viendraient à passer dans le même endroit n’éprouvent pas le même tourment.

Croit-on que dans nos sociétés industrielles, où la foi s’est peut-être émoussée, ces habitudes de largesse aient disparu, ces sentimens altruistes, comme dit Spencer, n’existent plus ? Il faudrait, pour le croire, avoir les yeux fermés. M. d’Haussonville et M. Maxime Du Camp nous ont raconté ici toutes les œuvres si diverses qu’a fondées Paris bienfaisant. Ce n’est pas seulement par les institutions charitables que se manifeste la puissance de ce mobile d’action individuelle. Plus la richesse s’accroît, plus les grandes fortunes se forment, plus il s’en échappe des parcelles qui, réunies, deviennent des trésors, pour fonder des établissemens désintéressés. Les millionnaires américains donnent des millions de dollars pour des universités, d’autres consacrent 10, 15, 20 millions de francs ou davantage à construire des maisons où les ouvriers aient un home confortable. Ici, tel philanthrope crée un musée ; telle veuve, en l’honneur de son mari, entreprend à Paris, à Gênes, ailleurs encore, un ensemble de travaux qui atteint ou dépasse 50 millions de francs. Tel manufacturier, enclin à l’utopie, consacre une grande fortune à fonder et à doter ce qu’il appelle un a palais social » ou « le familistère. » Des écoles spéciales surgissent, que l’état, toujours lent et inhabile à se faire une volonté, n’osait pas instituer ; des oboles particulières seules les défraient. Nos grands établissemens scientifiques manquent d’instrumens perfectionnés : tel grand financier les leur fournit ; le même crée un observatoire. Voilà quelques exemples : mais derrière ces dons, aristocratiques par leur importance, que de dons plébéiens, et comme toutes ces menues monnaies, émanant librement de tout le monde, dépassent les donations les plus considérables !

Nous avons détruit, croyons-nous, trois erreurs sur l’état et