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elle ainsi que dans la neuvième symphonie une sorte d’apocalypse, dont ils se réservaient l’intelligence et l’interprétation. La messe en , la neuvième symphonie, les derniers quatuors et les dernières sonates sont le patrimoine exclusif de certaine école qui défend qu’on admire ces œuvres-là, non pas moins, mais autrement qu’elle ne les admire elle-même. On veut établir que dans les dernières productions de Beethoven est forcément la beauté suprême et que le dernier effort du génie en est toujours le dernier terme ; en quoi l’on risque parfois de se tromper. Cela peut être vrai surtout pour les grands hommes morts jeunes : Raphaël, Mozart, parce que leurs dernières œuvres se trouvent être précisément des œuvres de maturité ; mais cela n’est pas vrai, par exemple, pour Michel-Ange : le Jugement dernier, postérieur au plafond de la Sixtine, lui est inférieur aussi. Cela n’est vrai non plus ni pour Corneille, ni pour Goethe, ni pour Hugo. Est-ce vrai pour Beethoven ? On peut en douter. Malgré ses innombrables et sublimes beautés, égales, supérieures si l’on veut, à toutes les autres beautés de Beethoven, la messe en n’a peut-être pas l’absolue perfection de telle ou telle symphonie : la Pastorale, l’Héroïque, le symphonie en ut mineur. Elle pèche par certains défauts, ou plutôt par certains excès, un peu comme le Jugement dernier, dont nous parlions plus haut, ou comme le finale de la symphonie avec chœurs.

On trouve dans la messe des abus de force, des longueurs, des obscurités d’intentions, des duretés et des aspérités vocales, enfin deux fugues, colossales, je le veux bien, mais écrasantes, dont la forme scolastique jure singulièrement avec la liberté du reste de l’œuvre. L’une termine le Gloria, l’autre, le Credo. M. Maurice Bouchor, dans une très intéressante et très enthousiaste brochure consacrée à la messe en , porte aux nues ces deux finales, surtout celui du Credo. « Il vaut mieux, dit-il, l’entendre que d’en parler. » Je ne le pense pas. J’aime encore mieux en parler, ou plutôt en entendre parler par M. Bouchor, sans toutefois être de son avis. « C’est, dit-il, une fugue énorme, une fresque bondée de personnages qui se mettraient tout à coup à chanter comme des possédés (mais possédés par un esprit divin) » ou à souffler dans une multitude d’instrumens extraordinaires… Que pouvait dire de ce merveilleux tumulte Berlioz, ennemi personnel de ce qui fait ma joie, et qui a écrit de si lourdes âneries sur les fugues finales des oratorios enchevêtrant leurs glorieux et interminables Amen ? Cette sorte de gaîté musicale fait périr d’ennui les pauvres hères que l’esprit de la fugue n’a pas éclairés. » — Hélas ! nous sommes de ces pauvres hères. Ne parlez pas de l’esprit de la fugue, de l’esprit qui vivifie, mais plutôt de la lettre qui tue. Les fugues du Gloria et du Credo sont construites, je le sais, selon toutes les règles de l’art ou de la science ; mais ces hurlemens successifs ou simultanés, ces vocalises vociférées, ce fracas