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succèdent, où il renouvelle ses protestations confuses et, à défaut d’une solution qu’il ne voit pas, il se jette même au besoin sur le premier fantôme de dictature qui passe. D’un autre côté, le mouvement radical officiel n’a fait que s’accentuer, menaçant les institutions aussi bien que l’organisation militaire, les finances publiques, toutes chargées de déficits, aussi bien que la paix sociale. S’il n’est point allé aussi vite qu’on l’aurait voulu, il ne s’est pas arrêté. Il est allé, d’étape en étape, au ministère qui règne aujourd’hui, à M. Floquet, qui représente le plus pur radicalisme, la marche en avant, la déchéance à terme de la constitution, les guerres religieuses en perspective, les connivences avec le conseil municipal de Paris, l’impôt sur le revenu, les programmes socialistes et le reste. Puisque l’anarchie était dans le gouvernement, elle devait nécessairement être bientôt dans la rue : elle n’a pas tardé à se manifester sous la forme de ces deux incidens, — les scènes révolutionnaires qui ont accompagné les obsèques d’un survivant de la commune et les grèves.

Le fait est que, depuis quelques semaines, mais depuis quelques jours surtout, Paris a offert d’étranges spectacles : les agitations ouvrières autour de la ville, cette manifestation récente, entrecoupée de coups de revolver, de mêlées sanglantes, à l’occasion de l’enterrement d’un des chefs insurgés de 1871. Que M. le président du conseil, en présence d’une menace évidente de sédition, ait cru devoir prendre ses mesures pour garantir la sûreté de la ville, c’est assurément fort heureux. M. Floquet s’est décidé à employer la police et les gendarmes, au risque d’être traité, lui aussi, de réactionnaire à sa première faiblesse, c’est-à-dire à son premier acte de force. Il a du moins réussi à limiter les désordres à ces obsèques tumultueuses du prétendu général Eudes. Il a fait, si l’on veut, son devoir de chef de gouvernement ; mais, enfin, ces tentatives de sédition qu’il a eu à réprimer, elles étaient l’œuvre de ses amis. A la veille même de la fin de la session, M. le président du conseil recevait les politesses et les promesses de concours de M. Félix Pyat, qui était un compagnon d’Eudes à la commune. Si ces bandes de toutes les factions ont pu se rassembler l’autre jour et défier l’autorité publique, c’est la politique radicale qui leur a rendu la liberté et l’audace. Ce qui s’est passé, c’est le radicalisme en action, sous une forme un peu plus brutale. Lorsqu’il y a quelques années, on a proclamé l’amnistie, on a prétendu accomplir une œuvre d’humanité et de pacification. On voulait, disait-on, en finir avec des souvenirs sinistres, avec le drapeau rouge, faire disparaître ce « haillon de guerre civile. » voilà ce qui en est ! Le haillon a été arboré une fois de plus comme un signe de ralliement lugubre. Ceux qu’on a cru avoir simplement amnistiés se font retrouvés au premier mot d’ordre, plus arrogans que jamais, comme s’ils reprenaient pour un instant possession de la ville qu’ils ont mise à feu et à sang. Ils comptaient parmi eux des députés, des