Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impuissant à la parole écrite. L’orateur qui trouve du premier jet le mot propre et l’image frappante quand il est entraîné par le mouvement de l’improvisation, s’embarrasse, hésite, lorsqu’il a la plume à la main. Ses expressions deviennent ternes, ses phrases traînantes ; il porte dans ce qu’il écrit ces longueurs, ces répétitions, qui se comprennent, et qui même sont nécessaires quand on s’adresse à un public ignorant ou distrait. Il faut bien avouer que cette fâcheuse influence du sermon se fait sentir jusque dans les maîtres de l’éloquence chrétienne, saint Ambroise, saint Augustin ; chez les autres, elle est tout à fait insupportable et nous rend pénible l’étude de leurs ouvrages, malgré les grandes pensées et les nobles sentimens qui s’y trouvent. Dès le premier jour, la beauté du rapport de Symmaque frappa tous les lettrés délicats ; il parut si supérieur à celui de son adversaire que le poète Prudence, quelque vingt ans plus tard, éprouva le besoin de reprendre les argumens de saint Ambroise et de les mettre en vers, pour leur donner plus de force et plus d’éclat.

Mais il ne s’agit pas ici d’un concours de beau langage ; l’affaire qui se discutait devant l’empereur était trop grave pour qu’on ne tienne compte que de l’éloquence. Il nous faut prendre pour nous-mêmes le conseil que saint Ambroise donnait à Valentinien, quand il lui disait « de ne pas s’arrêter aux grâces du discours, mais d’aller au fond des choses. » Cherchons donc à savoir de quel côté, dans cette grande lutte, étaient la justice et le droit. Quand on lit Symmaque un peu légèrement et qu’on prête trop d’attention à la vivacité de ses plaintes, il fait l’effet d’être un champion de la tolérance. C’est bien sa prétention, et saint Ambroise l’en raille très finement. Il rappelle que les païens n’ont pas toujours eu ces beaux sentimens dont ils se parent depuis qu’ils ne sont plus les maîtres. « Il est bien tard de parler aujourd’hui de justice et d’invoquer l’équité. Où donc était leur tolérance, quand ils pillaient les églises, quand ils tuaient les fidèles, quand ils refusaient à nos morts les consolations de la sépulture ? C’est la dernière victoire du christianisme de les avoir forcés à blâmer leurs aïeux. » Il n’a pas de peine non plus à montrer qu’on n’imite pas leur exemple et qu’on ne leur rend pas les traitemens qu’ils ont infligés aux chrétiens. En réalité, ils ne peuvent pas se dire persécutés, puisqu’on les laisse libres de célébrer leur culte comme ils veulent. « A Rome, l’encens brûle sur les autels ; les bains, les places, les portiques, sont occupés par les statues des dieux. » Que leur faut-il de plus ? Il est vrai qu’on a cessé de payer un traitement à leurs prêtres ; mais en a-t-on jamais accordé aux ministres des autres cultes, et est-ce vraiment une persécution que d’être réduit à la condition commune ?