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qu’une répartition plus équitable de la richesse publique lui assure sa part des trésors qu’il crée. Tel est le programme de lord Randolph Churchill : il est exécutable parce qu’il est modeste.

Quant à sa politique extérieure, il est permis de se demander s’il en a une. Sans doute, il se réserve, et il a raison. On a noirci beaucoup de papier, donné la volée à beaucoup de canards à propos de ses voyages sur le continent. Un de ses confidens les plus intimes m’a assuré que c’étaient de simples voyages d’agrément. Disons plutôt des voyages de curiosité, des voyages d’études. Un Randolph Churchill ne court pas l’Europe uniquement pour visiter des musées, des églises et des points de vue. L’homme qui dirigera peut-être un jour la politique britannique a désiré voir de près ceux qui mènent le monde, et je ne doute pas que la pénétration moqueuse du jeune lord n’ait rapporté, de ces diverses expériences de psychologie politique, une moisson assez riche d’observations. Il ne révère pas nos gouvernans, mais il n’a pas, que je sache, insulté notre pays. Le temps viendra peut-être où la paix de l’Europe dépendra encore une fois de l’alliance de l’Angleterre avec les races latines réconciliées. Ce jour-là, lord Randolph Churchill, assagi par le pouvoir et par les années, pourrait être le meilleur ami de la France, si la France elle-même était alors en bonnes mains.

Ce jour est éloigné ; bien des morts nous en séparent, et peut-être bien des naissances, beaucoup d’événemens et d’avènemens. Aujourd’hui nous sommes en quarantaine : efforçons-nous de rendre la quarantaine confortable et sûre. On décrète contre nos idées une sorte de nouveau blocus continental : acceptons-le, en nous rappelant comment fut exécuté l’ancien et comment il a fini. Soyons une île, puisque la situation insulaire a si bien réussi à nos voisins, dont l’exemple est quelquefois plus précieux que l’intimité. On nous fait, parait-il, quelques avances de l’autre côté du détroit. Ces avances dureront jusqu’au moment où le châtelain de Friedrichsruhe adressera au cabinet de Saint-James une de ces grimaces qu’on est convenu, en Europe, de considérer comme des sourires. Les républiques ne gagnent rien à flirter, soit avec les empires lointains, soit avec les monarchies prochaines. C’est donc en curieux, en simple amateur du courage et de la sincérité politiques que j’ai étudié lord Randolph Churchill. J’ai essayé de montrer comment raisonne, parle, agit, dans les temps révolutionnaires que nous traversons, l’homme qui s’annonce comme un grand leader conservateur, populaire et chrétien.


AUGUSTIN FILON.