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qu’ils la demandassent eux-mêmes, tant ses avantages leur paraîtraient évidens ; conclure ainsi, entre la loi salique et les vieilles coutumes de Castille, une heureuse et féconde union qui profiterait, en même temps, à la France, à l’Espagne, aux puissances européennes dont elle fortifierait l’équilibre, ce serait faire acte de haute et prévoyante politique.

Cette transaction, qui témoignerait, d’ailleurs, du respect de Philippe V pour les vieilles loi de son peuple, et qui serait ainsi de nature à rehausser son prestige, ne pouvait rencontrer, en ce moment, aucun obstacle de la part du gouvernement britannique, puisqu’elle confirmait les précautions qu’il venait de prendre lui-même pour affermir et sauvegarder l’équilibre européen ; elle complétait, en quelque sorte, les renonciations ; elle était d’autant plus opportune, que les cortès, par lesquelles il était indispensable de la faire sanctionner, siégeaient en ce moment même à Madrid ; cependant elle ne fut point réalisée sans peine. Au début, tout parut marcher à souhait. Quelques députés, soigneusement endoctrinés et facilement convaincus, en avaient pris l’initiative ; on disait les cortès favorables, mais Philippe comptait sans les résistances du président de Castille, fonctionnaire écouté, estimé, influent, qui se montrait passionnément, étroitement attaché aux vieilles institutions de son pays et qu’on n’avait pas su gagner à la cause royale. « Le roi catholique, écrivait Bonnac à Torcy, le 14 novembre, dans le dessein de profiter de l’avis que le roi lui avait donné pour réformer l’ordre de la succession en Espagne, ayant trouvé moyen de faire faire cette ouverture par les députés de las cortes, afin que, ne paraissant pas qu’elle venait de lui, elle fût acceptée avec moins de difficulté, le président de Castille s’y est opposé de toutes ses forces, et a mis quasi tous les membres de ce conseil dans son sentiment… J’espère cependant qu’on le réduira ; mais le roi d’Espagne a senti bien vivement la conduite du président de Castille dans cette occasion, et il pourra bien se faire qu’il s’en souviendra après que las cortes seront séparées. »

Pour vaincre l’opiniâtreté du président et de ses amis, il faudra faire jouer toutes les mines dont peuvent disposer les conseillers intimes de la couronne. Le père Robinet, confesseur du roi, a consulté mystérieusement du Bourk sur les mesures qu’il convient de prendre en ces conjonctures difficiles : « Je lui ai répondu, mande le chevalier à Torcy, le 21 novembre, que, si on pouvait insinuer aux Espagnols que cette affaire serait glorieuse et très utile à leur nation, et que ce serait le moyen le plus sûr d’empêcher leur couronne de tomber, à l’avenir, entre les mains des nations étrangères,.. ils viendraient eux-mêmes, à genoux, demander en grâce